Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/580

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont trop fortes, le chef de l’État n’est plus qu’une machine à signer des décrets, les ministres ne sont plus que des distributeurs automatiques de fonctions, de pensions et de décorations. Ou bien le chef de l’État n’est pas assez fort : et c’est la dictature anonyme, multiple et multiforme, d’une assemblée ou de la fraction dominante d’une assemblée, la Convention avec un ou plusieurs comités de Salut public. Le ministère n’est pas assez fort : et c’est ou le gouvernement direct par le chef de l’Etat, — le despotisme, — ou le gouvernement indirect par les Chambres, — l’anarchie. — Le parlement n’est pas assez fort : et c’est alors le caprice, le bon plaisir, l’arbitraire tyrannique.

Le chef de l’État trop fort, les ministres et le parlement pas assez : c’est la déformation prussienne du parlementarisme ; le chef de l’Etat et les ministres pas assez forts, le parlement beaucoup trop : n’en était-ce point hier encore la déformation française ? Le chef de l’Etat de moins en moins fort, le parlement et les ministres trop, ou les ministres trop et le parlement lui-même plus assez : n’en serait-ce pas, pour un avenir prochain, une autre déformation à prévoir ? Ainsi s’accomplirait le cycle du despotisme à la tyrannie par l’anarchie : la Convention, le Directoire, et après ? Telle est, en tout cas, la première condition du parlementarisme : que chacun des organes de la vie nationale ait assez de force, et qu’aucun de ces organes n’en ait trop ; la première de ses conditions politiques, et l’on serait tenté de dire de ses conditions intrinsèques, car il a, d’autre part, ses conditions extrinsèques ou sociales.

On a déjà noté que la forme même du gouvernement a une importance considérable pour la pratique du parlementarisme. En Angleterre, la Couronne a peu à peu délégué ou laissé transférer au Cabinet presque tous ses pouvoirs positifs ; mais elle a gardé, sinon accru, tout son pouvoir « imposant, » tout son pouvoir « par ascendant ; » — ce qui est beaucoup. — L’exercice de certains droits ou prérogatives du chef de l’État, et, pour n’en citer qu’un, du droit de dissolution, exige, en effet, qu’il soit entouré d’un grand prestige : s’il veut, un jour de conflit, que le pays soit juge entre lui et le parlement, il faut au moins que le pays le connaisse. Dans la monarchie, la question ne se pose pas : le roi est toujours le roi ; mais, dans la république, elle se pose : le Président n’est jamais que ce qu’est l’homme. C’est ce que les Américains ont bien vu, lorsque, se réglant sur la constitution anglaise