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— Quand on s’engage par une promesse, répéta Robert en s’obstinant, il faut la tenir. Ce que je ne conçois pas, c’est qu’au lieu de s’approprier tout simplement cette écriture, il l’ait donnée à un journal.

— Où l’écriture en question a été bien accueillie et largement payée, comme tout ce que Tchelovek a produit depuis lors.

— Ainsi elle a persisté…

— Avec l’autorisation, presque sur la demande de son mari. Il s’est accusé d’être trop exclusif ; il lui a dit son regret d’avoir agi en tyran. A-t-elle été dupe, oui ou non ? Je n’en sais rien. Peut-être comprend-elle qu’une idée assez pratique était venue à Salvy, celle de lui laisser au moins une occupation de son goût qui lui permît de la négliger sans remords.

— Elle serait bien imprudente de se prêter à cette combinaison, dit Robert avec vivacité. Pourquoi ne pas tâcher plutôt de se conformer à ses goûts, de le retenir ainsi ?…

Lise partit d’un rire bref.

— Vous parlez comme le monde qui n’a jamais admis qu’elle prît son parti des dîners de célibataires au restaurant, des soirées de liberté à dates fixes. Pourquoi ne reçoit-elle pas davantage ? Et comment une femme serait-elle bonne maîtresse de maison quand elle a des éditeurs à satisfaire ? Voilà ce que débite le monde. Je suis bien fâchée de constater, cher monsieur, que vous ne voyez pas plus clair que lui. Eh bien ! voulez-vous connaître mon opinion à moi, mon opinion brutale ? C’est que Salvy aime autant briller partout à l’état d’astre unique, sans satellite importun à ses côtés.

— Satellite littéraire, je l’admets. Elle n’avait qu’à renoncer franchement à écrire.

— Attendez donc ! Vous ne comptez pas la sérieuse économie qu’implique de la part d’une femme des résolutions de retraite justifiées, qui n’attirent d’ailleurs aucun blâme sur le mari. Cela coûte cher d’aller à deux dans la bonne compagnie. Il est beaucoup plus simple d’aller seul dans la mauvaise. Sans compter que, de plus en plus, je gage, Salvy trouvera suffisant pour elle le métier de manœuvre littéraire, de machine à copie qu’il dédaigne pour lui-même.

— Voulez-vous dire…

— Je veux dire que je vois quotidiennement dans nos faubourgs le labeur de la femme faciliter l’indolence ou l’incapacité du mari.