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leur sentence, quand elles prononcent, manque-t-elle absolument de sanction. Les ministres n’ont à se préoccuper ni de ce qui leur plaît ou leur déplaît, mais seulement de ce qui plaît ou déplaît au roi. « Qu’est-ce qui m’enchaîne encore à cette place, s’écriait un jour Bismarck, sinon le sentiment du fidèle serviteur, le devoir de représenter le roi et de défendre les droits royaux ?... Si je n’étais au service du roi, et si le roi, gracieusement, daignait aujourd’hui me relever de mes fonctions, je prendrais congé de vous, messieurs, avec plaisir et sans retour ! » Mais il n’y avait que le roi qui pût délier de son service son fidèle serviteur, le parlement n’y pouvait rien, et rien n’empêchait le ministre, qui était là, d’y rester, tant que le roi ne l’abandonnerait pas, de regarder d’un œil indifférent, les bras croisés et le sourire aux lèvres, pleuvoir l’inoffensive grêle des bulletins pour ou contre. Et c’est en quoi le parlementarisme prussien n’est qu’un parlementarisme faussé, qu’une moitié du parlementarisme.

Mais voici maintenant en quoi le parlementarisme français, dans ses pratiques courantes, n’est, lui aussi, qu’un parlementarisme faussé en sens contraire, et comme l’autre moitié seulement du parlementarisme. Il n’y aurait peut-être nulle témérité à soutenir qu’il est, sinon dans le texte, du moins dans l’esprit de notre constitution, que le Président de la République, ainsi que le roi en Angleterre et en Prusse, nomme et révoque ses ministres, lesquels, solidairement unis en un cabinet qu’une fiction parfois un peu forte autorise à considérer comme homogène, seraient responsables tout ensemble devant les Chambres et devant lui.

Cela, oui, ce serait le parlementarisme, et oui, cela, c’est sans doute la constitution de 1875, mais, par malheur, ce n’est elle que sur le papier. Il y a beaux jours que, n’étant pas appliquée, en réalité elle n’existe plus ; et n’est-il pas piquant de penser que le plus grand éloge qu’on ose faire d’elle, c’est de remarquer qu’elle n’est pas appliquée, mais que, cependant, bien ou mal, les choses vont quand même, ce qui semble une raison suffisante pour se dire constitutionnel en se permettant tout contre la constitution et pour la proclamer d’autant plus intangible que soi-même on y touche jusqu’à la violer ? Il y a beaux jours que le Président de la République ne croit plus pouvoir jamais, dans aucune occasion ni pour aucun motif, révoquer ses ministres, ou, si l’on y veut des manières plus douces, les prier de lui faire parvenir leurs lettres de démission. En revanche, il commence à