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devenue, non par métaphore, mais à la lettre, un objet d’envie pour le monde entier, et de toute part le monde s’était mis à la copier. » C’était les années où Voltaire régnait, et l’on ne pouvait aller le voir sans qu’il entreprît de vous en exposer les beautés, — nous le savons par le prince de Ligne. « Il aimoit alors la constitution angloise. Je me souviens que je lui dis : « Monsieur de Voltaire, ajoutez-y comme son soutien l’Océan, sans lequel elle ne dureroit pas. — L’Océan, me dit-il, vous allez me faire faire bien des réflexions là-dessus ! »

Que « le monde entier, » en copiant cette constitution, n’ait peut-être pas eu la sagesse de Voltaire et peut-être n’ait pas fait assez de réflexions là-dessus ; que, dans la suite, on n’ait peut-être point assez pris garde que « le succès de la constitution britannique pendant deux siècles était dû à l’influence de conditions toutes spéciales » et « le succès de la constitution américaine pendant un siècle, à l’action de circonstances encore plus particulières, mais vraisemblablement de nature à ne plus se représenter ; » « qu’en somme, un seul peuple, composé d’Anglais, ait su mettre en pratique, avec un rare bonheur, une adaptation de ce modèle ; » et que, partout ailleurs, on n’ait peut-être point tenu assez de compte des différences de race et de milieu ; que l’on ne se soit pas assez dit que ce qui était excellent en Angleterre et en 1770 pouvait ne l’être point en France et en 1830, ou en Allemagne et en 1848 ; c’est possible : c’est une question, et c’est une grande question, — nous la retrouverons, — mais, pour l’instant, ce n’est pas la question. Le fait demeure que toutes les constitutions de l’Europe dérivent plus ou moins directement de la constitution anglaise et, que, même quand elles s’en écartent, c’est sur elle encore et toujours qu’on a voulu les modeler.

Or, comment la constitution anglaise assure-t-elle et arrange-t-elle ces rapports qui, par l’intermédiaire obligé des ministres, doivent s’établir entre le chef de l’État et les Chambres, entre l’exécutif et le législatif ? Quatre organes y participent essentiellement au gouvernement parlementaire : ce sont la Couronne, le Cabinet, la Chambre des lords et la Chambre des communes ; le Cabinet est ici le trait d’union. Selon l’histoire comme selon l’étymologie, les ministres qui le composent sont avant tout les « serviteurs de Sa Majesté ; » leur premier titre est : « conseillers du roi ; » et le Cabinet est en premier lieu une émanation ou un comité du Conseil privé. En théorie, le souverain est pleinement