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qu’individuelles. Ne nous laissons pas séduire à la mythologie des abstractions, dont se leurrent les systèmes. Dans l’astronomie, le mouvement de la terre est solidaire du mouvement de tout le système solaire ; il n’en est pas moins vrai que, si vous supprimez la terre et son action propre, puis Vénus, puis Mars et les autres planètes, où sera le système solaire ?

Le communisme marxiste, en définitive, est aussi faux que l’individualisme exclusif. Ne parlant que d’intérêt et de plaisir, il décapite l’homme intellectuellement et moralement :


 O curvæ in terras animæ et cœlestium inanes !


Il a beau nous promettre la satisfaction de tous nos appétits, des jouissances croissantes au sein d’une société toujours plus puissante sur la nature, il ne fera jamais monter vers les nues un édifice solide avec des matériaux sans consistance ; il ne construira pas une société heureuse, savante et forte, avec des individus sans moralité. Le communisme matérialiste porte « son ennemi avec soi ; » il veut unir les hommes par ce qui précisément les désunit : à savoir leurs besoins individuels et matériels. Il se persuade que le « système de ces besoins, » notamment ceux qui viennent de l’estomac, finira par donner un jour à l’humanité un même cœur. C’est vouloir, sur le principe de la haine, fonder l’amour ; sur le principe de la guerre, fonder la paix perpétuelle. Un publiciste, M. Adolphe Prins, a dit avec raison : « Toute civilisation qui multiplie les richesses sans multiplier les liens sociaux et les devoirs sociaux produit plus de mal que de bien[1]. » Si ces paroles s’appliquent aux excès actuels du régime capitaliste, elles ne s’appliqueraient pas moins à un régime communiste qui prétendrait multiplier les richesses et jouissances sans multiplier les liens moraux, ou même en supprimant toute moralité. Pour fonder une société supérieure, il faut d’abord habituer les hommes à vivre, non en eux-mêmes et pour eux-mêmes, mais en autrui et pour autrui : in aliis vivimus, movemur et sumus.


ALFRED FOUILLEE.

  1. L’Organisation de la liberté.