Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/515

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vraiment sociaux et même universels, — vérité, beauté, moralité, souci de l’idéal, préoccupation de l’univers et de la destinée universelle, — il reconnaîtrait que le problème de la distribution égale des richesses, quelque important qu’il soit, n’est cependant pas le premier de tous, qu’il emprunte sa valeur à l’idée de justice, que l’idée même de justice emprunte sa valeur à des idées tout autres que celles d’intérêt et de plaisir ; d’où il suit que la question économique des intérêts individuels doit être subordonnée à la question morale des biens vraiment universels.

Ces biens universels n’ont point leur unique ni leur plus sûr asile dans les masses : ils doivent se réaliser avant tout dans les consciences individuelles ; et c’est précisément cette réalisation qui constitue la moralité. La moralité est donc personnelle, en définitive ; elle est œuvre de l’individu en collaboration avec les autres, mais agissant cependant par lui-même et sur lui-même. Le premier bien de la société étant ainsi la moralité, et la moralité étant individuelle par son centre, quoique universelle par son objet, il en faut conclure que l’action collective ou sociale a pour but, non de se substituer à l’action individuelle, mais de la susciter, au contraire, et de mettre la coopération de tous au service de l’initiative de chacun.

L’autorité sociale existe déjà ; son extension progressive n’est qu’une question de degré, de compétence, d’utilité et d’efficacité. Le collectivisme n’a de distinctif que son « exclusivisme ; » il n’a rien découvert de neuf. C’est le vieux moyen de la contrainte sociale qu’il veut simplement pousser à l’extrême. Mais cet exclusivisme est sa condamnation. Les institutions administratives ou gouvernementales, en effet, seront toujours mises en pratique par des hommes ; elles ne marcheront pas toutes seules comme une horloge une fois montée. Dès lors, elles ne vaudront que ce que vaudront les hommes ; on ne peut donc, par des considérations purement mécaniques ou purement économiques, prévoir leurs résultats. Les facteurs premiers, ici, sont psychologiques et, en conséquence, moraux. Quelque indispensable que soit la réforme des institutions, elle présuppose celle des consciences, qu’elle aide, mais qu’elle ne remplace pas.

S’il en est ainsi, il est également faux de supprimer la question morale au profit de la question sociale, la question sociale au profit de la question morale ; de méconnaître la valeur de l’individu ou la valeur de la société, qui a ses fins propres et plus