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à la condition que l’on y ajoute les restrictions et délimitations nécessaires ; mais c’est ce dont se gardent les auteurs de systèmes : l’étroitesse fait leur force. Qu’y avait-il de vrai dans le matérialisme économique ? — La grande part attribuée, sous le nom d’infrastructure, à l’infraconscient, qui, jouant un rôle énorme chez l’individu, ne peut pas ne pas jouer un rôle énorme dans la collectivité. Le Primo vivere sera toujours vrai des sociétés comme des hommes ; or, la plupart des fonctions vitales s’exercent en dehors et au-dessous de la conscience claire ; elles engendrent des besoins primordiaux de l’ordre matériel, qui retentissent ensuite dans la conscience sous la forme de sensations et d’émotions, faim, soif, désir de mouvement ou de repos, etc. Des connexions s’établissent dans les organes par l’habitude et par l’hérédité, et ces connexions aboutissent à des tendances fatales, que la conscience constate, qu’elle peut jusqu’à un certain point contre-balancer et diriger, mais dont elle n’est pas l’auteur. La morale est précisément la législation rationnelle des tendances primitivement irrationnelles, la suprastructure élevée par l’intelligence sur l’infrastructure organique. Transportez ces vérités dans l’ordre social, elles y reparaîtront agrandies. Le rôle de l’inconscient et de l’organique s’y montrera considérable, surtout dans l’enfance des sociétés, tout comme il l’est dans l’enfance des individus. Famille, propriété, droit, mœurs, religion, politique, s’organiseront en grande partie sous la poussée des besoins primordiaux de la vie ; et, comme la science économique a surtout pour objet la satisfaction de ces besoins par l’action de l’homme sur le milieu, elle se présentera tenant à la main la clef d’une multitude de problèmes historiques.

Ce n’est pas assez pour soutenir, avec Marx, que cette clef ouvre toutes les portes. La transformation des moyens de production et de la « technique » n’a été qu’une des conditions des métamorphoses sociales ; elle n’en fut jamais la cause suffisante, constante et universelle. Même quand il s’agit d’expliquer les formes successives du droit de propriété, si étroitement liées à l’économique, les formes de la production ne suffisent pas. Ce n’est point un « progrès technique » qui a changé la propriété collective de la gens en propriétés individuelles, ni les latifundia en propriétés parcellaires. Les institutions de la féodalité n’obéissaient pas seulement à ce que Marx appelle la « pression des rapports économiques ; » elles cédaient à l’influence des souvenirs