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sous un régime de communisme plus ou moins absolutiste, qui supprimerait la question morale au profit de la question sociale. M. E. Ferri a donné dans un Congrès l’aperçu de la justice « psycho-anthropo-sociologique » qui, selon lui, remplacera la magistrature actuelle sous le régime socialiste. « La justice de l’avenir, dit-il, n’aura pour objet que de constater que le prévenu est l’auteur du crime découvert ; » alors, dans les « commissions permanentes, » viendra « la discussion scientifique sur les conditions personnelles et sociales du criminel ; » classé dans telle ou telle catégorie anthropologique, on lui assignera « une forme spéciale de ségrégation indéterminée. » Ainsi chaque citoyen qui aura enfreint une loi pénale sera exposé à être renfermé sans débats, — car « les logomachies brillantes et habiles entre l’accusation et la défense » sont condamnées à disparaître ; et ce citoyen sera enfermé pour un temps indéfini, selon le bon plaisir de cette « commission permanente. » Celle-ci, par rapport audit citoyen, appréciera souverainement « les conditions pathologiques, ataviques et tératologiques de sa personnalité physico-psychique, qui en font une variété anthropologique bien caractérisée. » Il est à craindre que l’individu, sous ce régime pseudo-scientifique, ne soit complètement à la discrétion de l’État, de ses mandataires, de ses formules. Il aura sans doute la consolation d’être déclaré, en noms savans, irresponsable, malade, fou, dégénéré, psychopathe, etc ; mais la prison n’en sera pas moins au bout !

Si l’État doit toujours avoir pour principal rôle d’assurer et de sanctionner la justice, il ne supprimera pas pour cela la nécessité de la bienfaisance privée, ni, par conséquent, la vertu morale de la charité ou de la fraternité. Quelque parfaite que soit la société collectiviste, elle aura toujours des maux à soulager. « Il ne faut pas, dit un communiste, « consoler les souffrans ; » il faut « supprimer la souffrance. » Vous en parlez à votre aise ! Supprimez donc aussi la mort. De cette façon, vous n’aurez pas à consoler une mère de la perte de ses enfans. Le rêve du bonheur parfait et de la parfaite tranquillité sur la terre est l’oubli des conditions mêmes de l’agitation terrestre. Tout comme le vieux poète indien, les poètes de la société nouvelle devront dire : « Nous sommes la voix du vent errant, qui pleure pour le repos, et ne peut jamais le trouver. »

Il est très vrai que la pure philanthropie, qui ne s’occupe que