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II

Engels, après la mort de Marx, sentit le besoin de compléter le système marxiste par une doctrine de la famille ; mais comment la faire rentrer dans le matérialisme économique ? — En disant que, si celui-ci étudie la production de la vie matérielle, il doit aussi étudier la reproduction de l’espèce. Grâce à ce jeu de mots sur la reproduction comparée à la production, Engels semble ne pas sortir du système primitif ; il en sort en réalité. Il admet, comme la montré M. G. Sorel, des rapports affectifs à côté des rapports économiques et juridiques[1]. En fait, la question de la famille n’est pas seulement une question sociale, ni juridique, ni surtout économique, ni surtout ouvrière ; c’est essentiellement une question psychologique et morale. Nous ne voulons pas, certes, nier ici le rôle énorme des rapports de droit et des rapports d’intérêt au sein de la famille, ni l’influence déplorable d’un système économique où le mari est d’un côté tandis que la femme est d’un autre, et où les efforts des deux ont peine à faire vivre les enfans. Tout ce que les socialistes pourront dire à ce sujet est juste, excepté quand ils placent le remède dans « l’indépendance économique de la femme, » devenue rivale de l’homme en tout métier. Mais, une fois la famille réformée socialement aux points de vue juridique et économique, la question affective et morale subsistera encore tout entière. L’amour, le respect, la fidélité, l’harmonie des volontés en toutes choses, spécialement pour l’éducation des enfans, demeureront toujours nécessaires et ne pourront sortir des arrangemens extérieurs.

Les collectivistes, en général, demandent que les enfans soient élevés par l’État, et ils espèrent, grâce à ce moyen, faire disparaître de la famille, avec l’autorité maritale, les froissemens mutuels. Nouvelle utopie ! Les enfans ne peuvent être bien élevés que par leur mère, et ce n’est pas l’autorité sociale, c’est la moralité et l’affection mutuelle qui amèneront la paix dans les rapports des époux. De la liberté nécessaire à la femme, on ne saurait conclure à « l’amour libre, » à la dissolution de la famille même, à l’union accidentelle et animale (encore y a-t-il des animaux qui font exception). La famille exigera toujours l’amour

  1. Voyez la remarquable étude de M. Sorel, l’Éthique socialiste, Revue de métaphysique et de morale, mai 1898, et Morale sociale, Paris, Alcan, 1899.