heure de travail d’un ouvrier représentera un 160 millionième de la production quotidienne. Dans ce cas, la tentation de perdre une heure sera bien séduisante, si l’on a pour tout mobile le désir d’apporter son 160 millionième à l’œuvre totale, et si ce mobile se trouve mis en échec par une bonne occasion de s’amuser, de boire, de causer, ou simplement de se reposer. Même chez les collectivistes, si l’esprit est fort, la chair est faible, — d’autant plus qu’on la considère comme le tout de l’homme.
Quand même, dans la Salente collectiviste, la paresse ne serait plus à craindre, il n’est pas un seul des autres péchés capitaux, comme disent les théologiens, qui n’y trouvât encore ample matière à s’exercer. Empêcherez-vous jamais celui qui a ou croit avoir une supériorité naturelle ou acquise d’éprouver de l’« orgueil ? » Et, s’il n’a pas cette supériorité, l’empêcherez-vous de porter « envie » à ceux qui la possèdent ? — Les biens étant communs, on n’aura plus, dites-vous, à envier son voisin. — Mais d’abord, si communs que soient les instrumens de travail, les fruits du travail ne pourront être distribués également, même à ceux qui n’auront pas travaillé. Il y aura donc encore des individus plus riches en « bons de jouissance, » des « Mondors » qui seront pour les « Lucas » des objets d’envie. De plus, il y aura des individus plus intelligens que les autres, ou plus forts corporellement, ou plus beaux, qui plairont mieux aux femmes. De là des rivalités, des haines plus ou moins sourdes, des luttes plus ou moins ouvertes. Comment les supprimerez-vous, alors que toute coercition morale, même celle de l’opinion, aura disparu, et que la devise universelle sera, nous dit-on, celle de l’abbaye de Thélème perfectionnée : « Fais ce qui te plaît, tu feras par là même ce qui plaît aux autres ? » La «luxure, » la « gourmandise » et l’ivrognerie, qui sont des formes d’égoïsme, deviendront-elles des vertus civiques dans la cité collectiviste ? La « colère, » avec la violence qu’elle entraîne, n’aura-t-elle plus où s’exercer parce que la terre sera commune et que les mines ou usines appartiendront à l’État ? Une fois toute a crainte, » toute « foi religieuse » et toute « opinion morale » disparues, les hommes seront-ils du coup changés en brebis dans le pâturage idyllique du communisme ? Si, de nos jours, des ouvriers se disputent dans une usine capitaliste, en viennent aux coups et blessures, parfois même au meurtre, cela tient-il uniquement à ce que, sur la porte, on lit le nom d’un individu, et suffîra-t-il au fonctionnaire peintre d’enseignes,