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groupe de « culture sous tente ; » à 10 heures, séance à la «messe » phalanstérienne ; à 10 heures et demie, séance au groupe de la faisanderie ; à 11 heures et demie, bibliothèque ; à 1 heure, dîner ; à 2 heures et demie, séance au groupe des serres fraîches ; à 4 heures, au groupe de plantes exotiques ; à 5 heures, séance des viviers ; à 6 heures, goûter à la campagne ; à 6 heures et demie, séance au groupe des mérinos ; à 7 heures, séance à la Bourse ; à 9 heures, souper ; à 9 heures et demie, cours des arts, concerts, bal, spectacle, réception ; à 10 heures et demie, coucher, et bon somme ! Voilà le moyen d’être heureux. Quant à « Lucas, » qui est relativement « pauvre, » — car il y a encore des riches et des pauvres, — il ne sera pas moins heureux en ne dormant lui aussi que cinq heures et demie pour travailler presque sans discontinuer à une dizaine d’occupations différentes, qui changeront son cerveau en kaléidoscope tournant : il devra interrompre sans cesse sa besogne commencée pour éprouver les difficultés d’un nouvel entraînement à une nouvelle occupation. Nous rions de ces utopies ; ne rira-t-on point un jour des utopies de nos collectivistes contemporains ? Fourier méconnaissait assurément une des grandes lois du travail : pour être productif, tout travail doit être régulier, continu et spécialisé. Celui qui « papillonne » ne produira rien de valable. Si Mondor ou Lucas change dix fois par jour d’occupation, il fera dix fois une besogne médiocre.

Il y a pourtant, en ce rêve, un fonds de vérité : c’est que l’avenir verra l’alternance, non pas de dix ou douze métiers par jour, mais d’une certaine série d’heures de travail avec des heures de loisir de plus en plus nombreuses. Encore faudra-t-il travailler. Eût-on mis, selon l’espoir d’un chimiste, la nourriture en pilules, il resterait à la préparer, à s’instruire, à étudier, à produire mille objets utiles, à soigner les enfans, à soigner les vieillards, à soigner les malades ; toutes choses qui ne se font pas sans quelque effort du vouloir. On aura beau perfectionner l’industrie, la plupart des travaux industriels conserveront un caractère pénible, et ils contiendront même des élémens de risque. Les machines à vapeur tuent plus d’hommes que n’en ont tué les guerres les plus cruelles[1]. Chaque kilomètre de chemin de fer coûte, en moyenne, une vie humaine. Si l’on consulte le tableau de tous les métiers, dressé par l’Empire allemand pour servir de base à

  1. Voyez Nitti : Le travail humain et ses lois, dans la Revue internationale de sociologie, 1895.