Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/490

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Telles sont les théories du collectivisme matérialiste, qui, comme on le voit, supprime purement et simplement la question morale avec la morale même.

Dans ces diverses théories, dont l’inspiration est commune, le collectivisme nous semble révéler nombre de défauts et d’inconséquences. En premier lieu, c’est un mélange contradictoire d’absolu pessimisme à l’égard de la société actuelle et d’absolu optimisme à l’égard de la société future ; je dis contradictoire, car, si la société actuelle est tellement mauvaise, comment espérer qu’elle va produire une société si parfaite ? Cette antithèse en accompagne une autre, qui est la plus familière de toutes aux socialistes : le contraste aigu des deux classes capitaliste et prolétaire. Du côté du capitalisme, tous les vices et tous les maux ; du côté du prolétariat, toutes les vertus et tous les biens. Il n’y aura donc qu’à transformer la société capitaliste en société populaire pour changer du même coup la face du monde. C’est le dogme de l’infaillibilité du Peuple. Et ainsi nous arrivons à une troisième illusion, non moins « simpliste » que les précédentes : il suffira de changer les institutions pour métamorphoser les hommes. Comme si les institutions étaient indépendantes des hommes et pouvaient valoir ce que ne valent pas les hommes ! comme s’il n’y avait pas action réciproque entre l’extérieur et l’intérieur, entre le social et le moral ! Le collectivisme, on le voit, a conservé la méthode « catastrophique, » chère à tous les prophètes qui prédisent la fin d’un monde et le passage soudain à un autre.

Selon nous, il est difficile de concevoir une plus prodigieuse méconnaissance de la nature humaine ; les espérances ultra-terrestres n’ont rien de plus mystique que cette espérance terrestre du socialisme prétendu scientifique, que cette foi en une société où il suffira d’abolir la propriété individuelle pour rendre tout le monde parfait et heureux. Nous ne pensons pas qu’aucune communauté de moines ait jamais fait songe plus surhumain ; et c’est une preuve de ce qui a été plus d’une fois soutenu : le collectivisme, si dédaigneux des religions et des « reflets surnaturels, » est lui-même une nouvelle religion, qui exige une crédulité aussi forte que ses devancières. Le dogme fondamental, c’est qu’il suffira à l’égoïste d’être transporté dans une société communiste pour que son vice devienne une vertu et son intérêt du désintéressement !