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autres, elle aurait pris la fuite, ou se serait réfugiée dans le Palais d’été ; mais toutes les versions s’accordent à dire que, pendant plusieurs jours, le pouvoir a été exercé par le prince Tuan, et qu’il en a fait l’usage le plus sinistre. Le prince Tuan est le père de l’héritier présomptif du trône, proclamé tel après la révolution de palais qui a abouti à la mise en tutelle du jeune et maladif empereur et à la dictature de l’impératrice douairière. On le présente comme un Chinois fanatique, violent, cruel, d’ailleurs sans intelligence et, comme la plupart de ses compatriotes, vivant dans une ignorance profonde de l’Europe et du monde. Il ne saurait être retenu par la crainte des châtimens qui se préparent et auxquels il ne croit pas. Ayant, au surplus, joué son va-tout, il vit tout entier dans le moment présent et s’étourdit jusqu’à l’ivresse par l’exercice d’une puissance sans contrôle et sans limites, Telle est du moins la psychologie que l’on trace de lui. Mais, à parler franchement, nous n’en savons pas beaucoup plus long sur le prince Tuan que sur l’impératrice, et c’est seulement dans quelques jours que nous connaîtrons les détails de l’abominable tragédie dont le nord de la Chine est le théâtre. M. le prince d’Arenberg aurait voulu que la session parlementaire se prolongeât jusqu’au moment où nous aurions enfin des nouvelles plus sûres, et il a paru croire qu’une semaine suffirait pour cela. Il a eu sans doute raison, puisque les nouvelles commencent à arriver. Mais la Chambre, pressée d’entrer en vacances, n’a pas voulu attendre davantage. Le gouvernement lui a demandé sa confiance pour la direction à donner aux affaires d’Extrême-Orient : elle la lui a donnée pleine et entière.

Les explications qui lui ont été fournies à plusieurs reprises par M. le ministre des Affaires étrangères, en dernier lieu sur une question très bien posée par M. Piou, lui ont d’ailleurs donné toutes les lumières dont le gouvernement disposait lui-même à ce moment. Si on rapproche de ces explications de M. Delcassé celles dont M. Brodrick a fait part encore plus abondamment et presque quotidiennement à la Chambre des communes, et si enfin on tient compte comme il convient du véhément discours que l’empereur allemand a adressé aux troupes qu’il envoie en Extrême-Orient, on aura réuni tous les élémens de la question, telle qu’elle se présentait hier encore aux gouvernemens européens. L’empereur Guillaume a parlé de la torche de la guerre qui avait été subitement brandie par des mains chinoises Son ministre à Pékin ayant été assassiné, il a annoncé une vengeance exemplaire. Mais il ne s’est pas arrêté là : il a recommandé à ses soldats de vivre en bons camarades avec les soldats des autres puissances,