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c’était, disait-on, contester l’étendue de leur faute, et par là, la légitimité même de la révolution qu’ils avaient amenée.

Heureusement une opinion plus sage prévalut dans les rangs élevés de la société, et l’impulsion fut donnée surtout par le roi lui-même, sa vaillante sœur et sa pieuse femme. Pendant toute la durée de son règne, Louis-Philippe se refusa à toute exécution, même en apparence la mieux motivée, sur ceux qui n’avaient fait qu’attenter à son pouvoir : les assassins même furent graciés souvent par son intervention expresse. Il disait volontiers : « Il faut avoir vécu dans les mauvais jours pour savoir ce qu’un homme éprouve en sentant à son réveil le tranchant du fer sur son cou. » Grâce à cette influence ouvertement et énergiquement exercée, l’arrêt de la Cour des Pairs ne porta aucune conséquence extrême et à partir de ce jour-là, en fait, l’article du Code pénal appliquant la peine de mort en matière politique cessa d’exister. Quand M. de Lamartine en proclamait la suppression officielle, en 1848, du balcon de l’Hôtel de Ville, la cause était gagnée et les acclamations populaires y répondirent sans une apparence de protestation. C’est donc à tort qu’on lui rapporte l’honneur d’avoir fait prévaloir dans nos lois ce sentiment d’humanité sur l’empire de la violence des passions de parti. Il faut en faire hommage à qui de droit, au roi Louis-Philippe et à la Chambre des Pairs de 1830.

Une autre conséquence dont on put également s’applaudir de cette crise heureusement terminée, ce fut la démission de M. de La Fayette du poste de commandant suprême de toutes les gardes nationales de France. Aucun de ceux qui ont connu La Fayette ne le soupçonneront, assurément, d’avoir cédé ce jour-là plus qu’aucun autre à un esprit de vengeance contre ses adversaires politiques. Il s’était donc prononcé aussi nettement que personne contre l’exécution réclamée. Mais par le fait de la détestable organisation de son état-major où personne ne commandait et où toutes les passions se donnaient carrière, le service de la garde nationale, pendant ces jours difficiles, avait été réglé de manière à ne donner aucune garantie à la sécurité des juges. Les abords du palais et le jardin même du Luxembourg avaient été confiés aux bataillons dont les dispositions étaient le plus suspectes. C’était au point qu’il n’y avait aucune assurance, la sentence une fois rendue, que le passage dans la rue ne devînt pas l’occasion de quelque grave et peut-être même sanglante manifestation populaire. La résolution courageuse du jeune ministre de l’intérieur,