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devenir. Lorsqu’il a été nommé ministre, le général André était peu connu. Il avait été directeur de l’École polytechnique, et n’y avait pas laissé le souvenir d’un habile administrateur. Il s’y était déjà montré brouillon, maladroit, mais d’ailleurs parfaitement sûr de lui. Néanmoins, sa nomination au ministère de la Guerre n’avait pas été mal accueillie. On ne le rendait pas responsable des circonstances dans lesquelles elle s’était produite, et, bien qu’on le sût très intimement inféodé à un parti politique, on était disposé à ne pas lui demander compte de ses opinions personnelles. Il avait le droit, en somme, de les avoir et de les garder, à la condition de les subordonner aux devoirs supérieurs qui s’imposaient à lui, et d’être avant tout un soldat. Pourquoi n’en aurait-il pas été ainsi ? Cela s’était vu. On lui a donc ouvert, comme à ses prédécesseurs, un large crédit de confiance : mais il ne lui a fallu que huit jours pour l’épuiser. On s’est aperçu tout de suite qu’on avait affaire à une nature sèche et violente, et qu’on ne devait attendre du nouveau ministre aucun de ces ménagemens, toujours indispensables dans les rapports avec les hommes, et qui le sont peut-être encore plus à la Guerre que partout ailleurs.

Si on en demande le motif, il est facile de le dire. L’armée ne doit pas faire de politique, et, quoi qu’on en ait prétendu, elle n’en a jamais fait chez nous depuis l’établissement de la troisième République. Mais, précisément parce qu’ils vivent en dehors de nos disputes et de nos querelles, les militaires qui ne cherchent pas l’appui d’un parti ont besoin de sentir autour d’eux la confiance des pouvoirs publics, comme ils ont celle de la nation. Leur profession même développe en eux le sentiment de l’honneur, avec toutes les susceptibilités qui l’accompagnent. Il en a été ainsi dans tous les temps, il en est ainsi dans tous les pays du monde. Les plus grands capitaines, et Napoléon lui-même, les chefs d’État les plus puissans, et les plus impérieux, toutes les fois qu’ils ont eu le sentiment de leurs devoirs, ont entouré de ménagemens et d’égards particuliers les chefs qu’ils avaient mis à la tête de l’armée, et qu’ils considéraient comme leurs collaborateurs les plus précieux. Quelques-uns de ceux-ci ont eu souvent le caractère peu commode ; on tâchait pourtant de s’accommoder des inconvéniens de leur caractère, parce qu’ils étaient la rançon de leurs qualités. Et ce que nous disons des plus illustres capitaines ou des souverains les plus intelligens, il faut le dire aussi des vrais politiques. Sans doute ils ont été toujours attentifs, et fermes lorsqu’il l’a fallu ; mais ils se sont montrés prévenans, bienveillans,