Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/450

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même qui l’inspire, dans l’originalité du point de vue sous lequel il conçoit, au fur et à mesure, les hommes et les choses qu’il évêque devant nous. Ces figures innombrables qu’il nous fait voir à l’œuvre, ces princes, ces chevaliers, ces pages, ces pieuses dames, on sent que de tout son cœur il les aime, aimant en elles non point tant leur vaillance, leur beauté, ou leur vertu chrétienne, que le caractère spécial qui leur vient de leur race, leur vigoureuse et profonde originalité nationale. On est d’abord tenté de croire, en Usant les Chevaliers de la Croix, que tous les Polonais y sont bons, et tous les Allemands cruels ou hypocrites : mais, en réalité, il s’y trouve de bons Allemands et des Polonais de qualité inférieure ; et c’est seulement l’ardent patriotisme de M. Sienkiewicz qui, joint à son talent de poète et de psychologue, nous contraint à préférer, avec lui, les personnages de sa race à ceux de la race ennemie.

Et toute la thèse du livre est dans ce contraste. Pas une fois l’auteur n’exhorte ses compatriotes à la révolte, ni à la résignation. Il s’efforce, pour ainsi dire, d’éveiller et de stimuler en eux la conscience qu’ils ont d’eux-mêmes ; leur faisant voir des hommes de leur sang, des Mazo viens et des Lithuaniens, des maîtres et des valets, il les prend, pour ainsi dire, à témoin de leur propre valeur ; et il leur montre ensuite, par un grand exemple, de quels exploits a été capable une nation déjà pareille à ce qu’elle est aujourd’hui, ayant déjà l’esprit indocile et l’humeur querelleuse, mais unie dans un commun amour de la liberté. Ainsi les Chevaliers de la Croix sont tout ensemble un tableau historique et un plaidoyer. « Voyez, — dit aux Polonais M. Sienkiewicz, — voyez par le spectacle même de votre passé ce que sont vos adversaires et ce que vous êtes ! Les simples et touchans héros que je retire pour vous de la poussière des siècles, Zbyszko, toujours prêt à se battre, le vieux Macko, qui ne rêve que d’agrandir son domaine, et Jurand de Spychow, assoiffé de vengeance, ce sont vos pères ; ce qui a fait leur force survit encore en vous. Et ces barons allemands, qui, par la menace et la ruse, travaillent à intimider les libres populations qu’ils rêvent d’asservir, ces Kuno de Lichtenstein et ces Hugo de Danveld, ils ont aujourd’hui des descendans que vous connaissez bien. Longtemps votre race, trop patiente, s’accommode de leur insolence : mais voyez comme, au jour décisif, elle sait y mettre un terme, sans autre aide que son patriotisme et l’élan de sa foi ! » Car la fidélité au catholicisme est, pour M. Sienkiewicz, une des conditions essentielles de la vie nationale de la Pologne ; et à, ce point de vue, Quo vadis ? lui aussi, peut être considéré comme une œuvre patriotique. Mais le catholicisme