de Prusse avait donc tout lieu de s’applaudir d’avoir été sage, et c’est ce qu’il fit sentir avec une douce ironie. Ayant à sa table le maréchal Diebitch qui venait de Russie pour la seconde ou troisième fois afin de souffler le feu et offrir des plans de campagne : « Eh bien, maréchal, lui dit-il assez haut pour être entendu de tous les convives, où sont maintenant les 160 000 hommes que l’Empereur nous promettait ? » De gré ou de force, pour les plus ardens, un temps d’arrêt et une détente au moins momentanée étaient nécessaires ; et ce n’est pas un des faits les moins singuliers à noter que cette révolution polonaise, qui devait être l’année suivante le plus grand danger pour le maintien de la paix, eut au contraire pour effet, à la première heure, de prévenir un éclat qui n’avait jamais été plus menaçant[1].
Dans une partie bien liée, toutes les pièces du jeu se tiennent, tous les coups se commandent, et un joueur habile profite de toutes les défaillances de son adversaire. C’est ce que sut faire M. de Talleyrand, qui se servit très heureusement du désarroi que la révolution imprévue de Varsovie avait jeté dans les rangs qui lui étaient opposés, pour leur faire faire un pas considérable dans la voie où ils ne le suivaient qu’à regret.
Depuis six semaines qu’elle durait déjà, la Conférence n’avançait pas ; l’établissement de la ligne d’armistice rencontrait, de la part des deux partis à concilier, des difficultés qui naissaient l’une de l’autre. Les demandes des Belges, sur plusieurs points, étaient excessives ; mais ce qui tenait surtout tout en suspens c’était une prétention du roi Guillaume appuyée sur une argumentation subtile qui en déguisait mal la mauvaise foi. Il était convenu que l’armistice suspendait, non pas seulement les opérations militaires sur terre, mais aussi le blocus maritime établi par les escadres hollandaises sur les côtes de Belgique, et effectivement, elles eurent ordre de se retirer ; mais, sous prétexte que toutes les embouchures de l’Escaut étaient situées sur le domaine reconnu à la Hollande, Guillaume soutint que l’armistice ne s’étendait pas jusque-là et qu’il avait droit de maintenir sa flotte en arrêt dans des eaux qui lui appartenaient, de manière à barrer complètement la navigation du fleuve. La levée du blocus était ainsi complètement illusoire, et c’était en quelque sorte couper la respiration à des provinces entières de Belgique, et en particulier à la ville
- ↑ Dépêches de M. de Bourgoing (déc. 1831) et Souvenirs d’histoire contemporaine de ce diplomate, p. 526-537.