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le poète refuse de s’engager dans aucune des trois routes, la facile, la honteuse, la hautaine ; il renonce aux expériences nouvelles et s’assied à l’endroit du chemin où le retient son passé (Exergue). Dans la Couronne, il revoit au crépuscule ses pensées qui, parties à l’aurore, lui reviennent de la vie. Il les interroge et leur demande ce qu’elles ont rapporté de leurs courses ; elles sont allées vers l’orgueil, vers le désir, vers l’action. Elles en reviennent pareillement déçues.


Mais toi qui partais chaste, ô toi qui partais nue !
Et seule de tes sœurs ne m’es pas revenue,
C’est vers toi à travers moi-même que j’irai.
Tu es restée au fond de quelque bois sacré
Assise solitaire aux pieds nus de l’Amour.
Et taciturne, vous échangez tour à tour
Toi te haussant vers lui, et lui penché vers Toi,
Une à une les fleurs divines dont vos doigts.
Qui d’un geste alterné les prennent et les donnent,
Tressent pour vos deux fronts une seule couronne.


Des pièces de ce genre nous font assez bien comprendre ce que pourrait être cette poésie élargie et simplifiée, se Jouant librement à travers l’espace et le temps, rêveuse et musicale, et qui serait une sorte de méditation passionnée.

Ces nouveautés devaient avoir pour conséquence un certain nombre de changemens dans la facture du vers, puisque la question de métier n’est nulle part plus importante qu’en poésie. Nous les avons passés en revue dans un article assez récent ; nous n’y revenons donc que pour mémoire. À cause de sa plénitude même et de sa perfection, le vers parnassien en est arrivé aujourd’hui à ne plus produire toute son impression. Notre oreille est trop habituée à sa cadence : elle y est devenue comme insensible. De là procèdent toutes les réformes tentées par les symbolistes. Nous pouvons dans le présent recueil en suivre le dessin. Voici d’abord des vers de coupe régulière : c’est le grand nombre. Puis ce sont des pièces où est respectée la mesure traditionnelle, mais soudain un vers de treize pieds ou même de dix-sept nous fait sursauter. Voici les vers libres de M. Vielé-Griffin et de M. Gustave Kahn : une série de lignes que, si nous n’étions avertis par la disposition typographique, nous prendrions pour des lignes de prose. Et voici enfin, à l’extrême limite, la prose rythmée des ballades de M. Paul Fort. Dans le vers des symbolistes, la rime est souvent réduite à n’être que l’allitération. Les arrêts sont multipliés dans l’inté-