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hommes « s’en furent chercher Verlaine au fond de la cour Saint-François, blottie sous le chemin de fer de Vincennes, pour l’escorter de leurs acclamations vers la gloire haute que donne l’élite ; ils montèrent chaque semaine la rue de Rome, pour porter l’hommage de leur respect el de leur dévouement à Stéphane Mallarmé hautainement isolé dans son rêve ; ils entourèrent Léon Dierx d’une déférence sans défaillance et firent à Villiers de l’Isle-Adam, courbé par la vie, une couronne de leurs enthousiasmes. » Même, dans un pays où il y avait déjà tant de fonctionnaires, ils ont éprouvé le besoin de créer une nouvelle fonction, élective et à vie, celle de prince des poètes. Toutefois aucun de ces chefs, et pour quelque cause que ce soit, n’a exercé sur les symbolistes une influence comparable à celle de Victor Hugo sur les romantiques ou de Leconte de Lisle sur les Parnassiens. Ce qui frappe ici, ce n’est pas la cohésion, mais l’éparpillement. Verlaine s’est aussi peu que possible inquiété d’imposer une doctrine à des disciples : et lui-même, n’obéissant qu’à sa fantaisie, ne suivant que l’impulsion du moment, il a été le plus capricieux et le plus individuel des poètes. Mallarmé au contraire fut plus théoricien qu’exécutant. Quelques-uns comme M. Quillard ou M. Pierre Louÿs sont de purs parnassiens. L’école romane remonte dans le passé jusqu’à Ronsard et met son originalité à faire des pastiches ingénieux et froids. Il y a encore l’avant-garde des vers-libristes. Il y a le bataillon sacré des incompréhensibles : soucieux de conserver au symbolisme sa physionomie et de nous en mettre sous les yeux tous les élémens, les auteurs de ce recueil ont tenu à y faire figurer tel sonnet de Mallarmé ou de René Ghil, qui n’est, à dire les choses bonnement, qu’un logogriphe ; et ils ont eu raison. Il y a enfin le clan des étrangers : ils sont en nombre. M. Moréas est Grec, descendant des navarques Tombazi et Papadiamantopoulos. Rodenbach, de Tournai, M. Mæterlinck, de Gand, M.Verhaeren, de Saint-Amand près Anvers, sont les principaux représentans du groupe belge. M. Stuart Merrill, de Hampstead, Long-Island (New-York), et M. Vielé-Griffin, de Norfolk (Virginie), représentent le groupe anglo-saxon. Et certes, que des étrangers, séduits par la douceur de notre langue, se plaisent à en agencer symétriquement les syllabes, c’est un hommage dont la piété ne peut que nous toucher. Je n’oublie pas d’autre part que quelques-uns de nos meilleurs écrivains en prose n’étaient pas de chez nous : tels l’Anglais Hamilton, Rousseau, de Genève, et Mme  de Staël, sans parler du prince de Ligne, qui était Allemand, et de l’abbé Galiani, qui était Italien. Mais, parmi nos grands poètes, on n’en citerait pas un qui fût de souche étran-