Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/435

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.




REVUE LITTÉRAIRE



________



L’ŒUVRE DU SYMBOLISME


________




Il y a vingt ans déjà que, pour parler comme on eût fait jadis, il s’émut sur le Parnasse une grave querelle. On était fatigué d’obéir aux règles établies et de courber la tête sous le joug des maîtres. Les jeunes se révoltaient. On chassait les dieux anciens et on en appelait de nouveaux. Ce fut, parmi le bruit des injures et la tempête des acclamations, une mêlée confuse. On se battait sous toute sorte de drapeaux. Décadens, esthètes, symbolistes, instrumentistes, se distinguaient mal les uns des autres, et à peine est-ce s’ils se connaissaient eux-mêmes. Les théories apparaissaient, passaient, fuyaient comme les nuages dans un ciel mouvant. Chaque matin voyait naître une petite revue et un grand homme. Aujourd’hui, tout ce tumulte est apaisé et ces choses, qui sont d’hier, nous semblent lointaines. Les modes vont vite en littérature comme ailleurs, et bien des changemens surviennent en ce long espace de vingt années. Plusieurs qui s’étaient distingués au premier rang nous ont quittés. Verlaine a cessé de languir parmi les salles des hôpitaux. Arthur Rimbaud, le compagnon de ses plus mauvaises heures, est mort. Mallarmé est parti, emportant avec lui le secret de son âme voilée. Jules Laforgue, Éphraïm Mikhaël, Tristan Corbière les avaient précédés au tombeau. Bruges se prépare à élever un monument à son poète Rodenbach. Les jeunes gens de ce temps-là sont aujourd’hui dans la maturité de leur âge et ils sentent derrière eux la poussée des nouveaux venus qui les traitent d’ancêtres. Les journaux les plus batailleurs ont disparu : d’autres se sont transformés en maisons d’édition, honorablement