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de petits papiers et de petits livres contre la guerre, contre toutes les livrées, contre le Dieu des armées, contre les conquérans ; et sa conclusion fut qu’on ne devait point craindre les poursuites, la prison, et qu’un jour il faudrait refuser de se soumettre. Au dire du reporter de l’Opinion nationale qui assistait à la séance, les dames s’étonnèrent que, pour cette croisade, M. Buisson négligeât de leur faire appel. Mais, hormis les dames, tout le monde fut content de M. Buisson : les Allemands surtout. C’est un Berlinois qui demanda que son discours fût imprimé, tiré à part, et répandu à profusion. Quelqu’un fît remarquer que les colporteurs français qui propageraient ce discours pourraient éprouver des ennuis ; la proposition fut dès lors éconduite, et jamais à l’avenir elle ne fut reprise. Jules Ferry assistait à ce Congrès ; plus tard, devenu ministre de l’Instruction publique, il mit M. Buisson sur le chandelier, mais le discours de Lausanne demeura sous le boisseau.

Il fut heureux pour le Congrès de Lausanne que Jules Ferry y assistât : parmi la jeune génération républicaine, prompte aux effervescences tantôt sincères et tantôt factices, il émergeait par sa constante froideur, par sa pondération raisonnée. « Vous ne ferez pas avec les grandes nations, dit-il aux congressistes, les États-Unis d’Europe ; elles vivent trop dans l’ambition militaire et unitaire. «En pareille bagarre, le bon sens était du courage : Jules Ferry eut du courage. Seul à peu près dans ce meeting destructeur, il semble avoir senti ce qu’avaient d’utopique les théories enflammées sur la suppression des frontières ; seul à peu près, il fit entendre des remarques que des auditeurs impartiaux eussent pu retenir avec fruit.


IX

« Plus de frontières ! » A Lausanne comme à Berne, à Berne comme à Genève, à Genève comme au Havre, on s’engouait de cet idéal et l’on promenait cette clameur. Et dans les bureaux des journaux, dans les arcanes des loges, dans les coulisses du Palais-Bourbon, cet idéal projetait quelques reflets, cette clameur quelques échos. Et l’on croyait peut-être, çà et là, travailler pour la fraternité et travailler pour l’humanité, en quoi l’on se fourvoyait étrangement.

Car, si les frontières ne sont plus considérées que comme des