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nos frères en démocratie de tous les peuples. » Sur le sol terrestre comme dans le monde de la pensée, il n’était aucunes frontières, soit géographiques soit intellectuelles, sur lesquelles Santallier ne voulût faire planer l’auguste essor de la Paix.

Le but de l’Union de la Paix était de créer, sans le concours des gouvernemens, sans nul recours à l’’« empirisme diplomatique » dont le règne était clos, un puissant « mouvement des volontés humaines, » et de s’appuyer sur ce mouvement pour demander à la science, représentée par les jurisconsultes, la rédaction d’un code international[1]. De même que « l’avènement du droit privé avait provoqué une évolution dans le règlement des rapports entre les citoyens, » de même que la publication du formulaire appelé le Consulat de la Mer avait, au XIIe siècle, assuré l’harmonie entre les commerçans des villes maritimes, de même les États, du jour où le droit international serait codifié, tiendraient compte, nécessairement, de ce code élaboré par les savants et béni par les peuples. On verrait, alors, s’inaugurer des campagnes électorales dans lesquelles les citoyens demanderaient aux candidats ce qu’ils pensent du droit international ; et tôt ou tard, peut-être, dans un État qui dérogerait aux prescriptions du code nouveau, l’Union de la Paix, tout comme la théocratie d’antan, inviterait les citoyens au refus de service militaire et au refus de payer l’impôt. Mais c’étaient là des perspectives troublantes, qu’il valait mieux, pour l’instant, reléguer dans cet « immense avenir » où se prolongeaient, à certaines heures, les audacieuses visées de Santallier. Il fallait, d’abord, « emmagasiner les matériaux, » c’est-à-dire des adhésions populaires et des concours érudits, convier les jurisconsultes à faire le code, les masses à le signer ; Santallier s’attelait à cette tâche ; c’était, à ses yeux, la recherche de la justice ; le reste viendrait par surcroît. Le Herald of Peace'', journal de Londres, lui demandait pourquoi il n’invoquait pas le concours des gouvernemens ; ses défiances contre tous les Etals de l’Europe — hormis la jeune Italie — le dissuadaient de pareilles démarches. Il ne s’affichait point en révolutionnaire, pourtant, conseillait à ses amis de se tenir partout

  1. Il est curieux de constater que, précisément en 1868, Bluntschli, professeur à l’université d’Heidelberg, publiait son Droit international codifié, immédiatement traduit en français avec une préface d’Edouard Laboulaye, où l’abolition de la guerre était augurée. Bluntschli avait été l’un des signataires de la Déclaration de Kehl.