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les membres des deux autres loges havraises. Rendez-vous fut pris pour un soir de février 1867 ; et cette soirée fut l’origine de l’Union de la Paix. Tout fier des applaudissemens qu’on lui avait prodigués, Santallier jugea « que la phase platonique du mouvement avait assez duré, et que le temps était venu de faire un enfant. » Quelques mois y suffirent : son manuscrit fut traduit dans le Herald of Peace, de Londres, dans l’Umanitario de Palerme ; la maçonnerie universelle commença de s’agiter ; en moins d’un an, 72 loges adhérèrent, dont vingt loges parisiennes ; elles représentaient l’opinion républicaine du temps.

Un négociant du Havre, — Allemand de nationalité, israélite de naissance, maçon de confession, et très étroitement lié à la famille grand-ducale de Bade, — M. Bielefeld, présidait à l’Union de la Paix ; mais Santallier, qui en était l’instigateur, en demeura la cheville ouvrière, avec le modeste titre de secrétaire. A l’inverse de la Ligue de l’Enseignement, où l’esprit maçonnique se dissimulait derrière une artificieuse façade de « neutralité, » l’Union de la Paix, maçonnique en façade, réservait aux profanes dont elle quêtait l’adhésion, la surprise assez inédite d’un sincère esprit de tolérance. Santallier, matérialiste et républicain, voulait rassembler, sous le drapeau de la paix, toutes les opinions politiques et toutes les croyances religieuses ; ceux qui prétendaient écraser l’infâme ne lui étaient pas moins désagréables que les détracteurs de la « philosophie ; » il eût voulu les voir, les uns et les autres, « au bout du monde. » Qu’il écrivît aux loges maçonniques ou bien à un curé de la Corrèze, adhérent de l’Union, aux Mennonites de Russie ou bien aux directeurs des grands journaux parisiens, Jourdain, Arago, Louis d’Estampes, Nefftzer, qu’avec quelque timidité il risquât un appel à l’avocat Hérold, alors dans tout l’éclat de son talent, ou bien qu’il laissât s’épancher son âme humanitaire dans les longues pages qu’il adressait à son « frère bien-aimé » Andréa Crispo, fondateur d’un journal maçonnique de Palerme, Santallier développait uniformément le même programme et professait uniformément les mêmes maximes. Et qu’il eût pour correspondans des Français, des Allemands ou des Italiens, son langage était toujours le même ; il affectait de ne poursuivre les intérêts d’aucune nationalité, pas même de la sienne : « Nous ne voudrions pas pour notre pays, écrivait-il à Crispo, un avantage, un honneur, un bien-être, qui ne serait pas en même temps avantageux, favorable et salutaire à