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affectueusement en lui rappelant qu’il y avait des intérêts dont les femmes ne devaient pas juger.

Ce langage dont le secret n’était pas gardé, et que commentaient d’ailleurs la succession des décrets d’armement publiés dans les gazettes de Saint-Pétersbourg, ne pouvait manquer d’exciter partout de justes craintes. Entre les provocations parties de la presse de Paris et les allocutions hautaines de Saint-Pétersbourg, c’était un échange d’action et de réaction, une succession, si on peut parler ainsi, de coups et de chocs en retour qui entretenaient les esprits dans une constante agitation. Il n’y eut donc pas lieu de s’étonner que la France, menacée de se voir d’un jour à l’autre prise au dépourvu-se mit en mesure de relever le gant s’il lui était jeté et prît d’avance une situation fortement défensive. Ce n’était pas s’éloigner de la ligne pacifique que le roi entendait toujours garder et dont ses nouveaux ministres, malgré quelques mouvemens d’impatience nerveuse et quelques imprudences de langage, ne lui demandaient pas de se départir. Deux mesures importantes furent donc prises. On fit savoir à Vienne et à Berlin que, si une armée russe franchissait la frontière de Pologne et pénétrait sur un point quelconque du territoire germanique, cette démonstration, que rien ne motivait, serait considérée comme un acte d’agression et immédiatement relevée. Un projet de loi demandant un appel supplémentaire de 80 000 hommes sur la classe de 1830 fut proposé aux Chambres. En soi, la mesure, répondant à une préoccupation générale, et très bien justifiée, aurait dû paraître plutôt propre à garantir qu’à menacer la paix, mais le langage du ministère qui présenta le projet, et l’accueil enthousiaste qui lui fut fait, en changeaient involontairement le caractère. « La France, dit M. Laffitte, ne permettra pas que le principe de non-intervention soit violé, mais elle s’efforcera aussi d’empêcher que l’on compromette une paix qui aurait pu être conservée... Nous continuerons donc à négocier, et tout nous fait espérer que ces négociations seront heureuses. Mais, en négociant, nous armerons. « Puis après avoir énuméré toutes les forces dont la France pouvait disposer : « Un million de gardes nationaux, dit-il, les appuieraient et le roi, s’il en était besoin, se mettrait à la tête de la nation. Nous marcherions serrés, forts de notre droit et de la puissance de nos principes, et, si des tempêtes éclataient à la vue des trois couleurs et se faisaient nos auxiliaires, nous n’en serions pas comptables à l’univers. »