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VII

Il lui manquait une dernière gloire, celle d’avoir prêché, parmi les profanes, son humanitarisme pacificateur, en un opuscule largement répandu : en 1869, il publia l’Anniversaire de Waterloo. C’était un petit dialogue, qu’il avait écrit au lendemain de Soliorino. Le « Petit Château, » où il habitait, abritait des jeunes filles de toutes les nations : surexcitées sans doute par l’écho des batailles, elles oubliaient leurs livres de classe et s’amusaient à se disputer entre elles, tout comme les rois de l’Europe. Macé, pour ramener l’ordre, leur fit jouer une comédie.

Deux figures, la Guerre et la Paix, promenèrent leur allégorique majesté sur les tréteaux du pensionnat ; elles évoquèrent des morts, et ces morts ressuscitèrent : c’étaient un grenadier, un hussard, un cosaque, un Écossais ; tous tués à Waterloo. Et ces bons revenans, pacifiés par le calme du sépulcre et réconciliés par la fantaisie de Macé, se tendaient la main. Chacun disait à l’autre ce qu’il faisait avant de partir pour la guerre, et pourquoi il était parti : le Tsar, le Roi, le Parlement, avaient décidé qu’on devait se battre. « Mais enfin, interrompait l’un de ces spectres, qu’avions-nous donc les uns contre les autres ? Où était la querelle entre les socs de nos charrues ! » — « Maudits soient les artisans de la guerre ! » clamait un autre. Et là-dessus, des femmes voilées survinrent. L’une demanda son frère : « C’est ma sœur ! » disait le grenadier. L’autre réclamait son père : « Ah ! ma fille ! » soupirait l’Écossais. Une troisième cherchait son mari : « Mais, voilà ma femme ! » s’écriait le hussard. Une mère appelait son fils, et le cosaque la reconnaissait. Et pour que les étreintes fussent plus chaudes, les femmes laissèrent tomber leurs voiles. O déception ! Le grenadier s’attendrissait avec une Russe, le hussard avec une Française, l’Écossais avec une Allemande, et le cosaque avec une Anglaise. Mais si les fillettes du Petit Château avaient ri de ces surprises de la résurrection comme d’une mésaventure de vaudeville, l’austère auteur, bien vite, les eût ramenées au sérieux ; car la Paix, reprenant la parole, laissait tomber cet axiome : « Il y a des sœurs, des épouses, des filles et des mères partout, et la nature n’a qu’un seul langage dans tous les pays. » Et la Paix renvoyait la Guerre aux casernes et aux brasseries, en la priant de ne point compter sur les femmes. Et les