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ne pouvait être plus séante, puisque, au congrès maçonnique breton de 1866, tout en affirmant qu’on mourrait si la patrie était attaquée, on avait épuisé l’invective contre les « lauriers souillés de sang. » Mars, évidemment, n’eut qu’à remonter dans l’Olympe : car la loge militaire qui fonctionnait au camp de Châlons l’eût certainement mis à la porte. Il y avait là le lieutenant Riu, qui plus tard, devenu général, acheva sa carrière sur les bancs de l’extrême gauche, par la volonté des électeurs blésois. Il faisait en 1869 l’office de vénérable ; et sous sa présidence, un jour, on but « à la France, à la Fraternité, au Progrès, à l’abolition de la guerre, à la paix universelle. Ce dernier toast, ajoute le chroniqueur, développé d’une voix convaincue par un brave militaire, produisit surtout un grand effet et souleva d’unanimes bravos. »

Les cantiques qu’on entonnait, les pièces d’architecture qu’on lisait, rendaient volontiers hommage au « signe de détresse » maçonnique et aux curieux avantages qu’il offrirait en temps de guerre. On collectionnait à ce sujet les anecdotes : on promenait, de loge en loge, l’histoire du peintre David faisant le signe de détresse, à Rome, à l’officier autrichien chargé de l’arrêter, et obtenant ainsi son salut ; l’aventure de Blücher à Waterloo, faisant cesser le feu contre un bataillon dont le commandant était maçon ; la double bonne fortune du frère Gérard, vénérable du Globe, deux fois sauvé, sous le premier Empire, à Madrid et à Augsbourg, parce que l’ennemi l’avait reconnu maçon. Les plus lettrés pouvaient mettre à l’épreuve la sensiblerie des « louveteaux » en leur faisant admirer un poème maçonnique de César Moreau sur la bataille d’Austerlitz, où détresse rime tout naturellement avec tendresse, et où l’on voit un Français et un Russe, sous les auspices du signe mystérieux, cesser leurs réciproques menaces, et échanger entre eux


Les sermens répétés d’une amitié constante.


Dechevaux-Dumesnil chantait à son tour :


Quand du canon gronde la voix d’alarme,
Quand des fusils la mort rompt les faisceaux,
Notre signal fait abaisser les armes.


Et les cantiques de Jouenne, publiés par ordre de la loge Thémis, de Caen, et réimprimés cinq fois de suite avec l’autorisation