Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/408

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


V

C’est dans les loges maçonniques, surtout dans celles des grandes villes, que s’élaborait, à la fin de l’Empire, la philosophie politique du parti républicain. Beaucoup d’ateliers, à vrai dire, demeuraient bonapartistes : telle cette loge de Boulogne qui, malgré les instances de Jules Mahias, refusait d’initier Gambetta. Une loge de Marseille, d’ailleurs, ouvrit aussitôt ses portes au tribun ; et tout ce qu’il y avait de vivant et d’agissant dans la maçonnerie d’alors était, en fait, républicain. Or cette période, où le parti républicain faisait son avènement dans les loges avant de le faire dans le pays, coïncidait avec une terrible éclipse de l’idée de patrie dans la philosophie et, dans l’éloquence maçonniques.

Il y avait eu des maçons, et en assez grand nombre, dans les armées du premier Empire ; une carte maçonnique de la France impériale, dédiée à Charles XIII de Suède, en 1809, par un certain Fustier, nous révèle qu’il n’y avait pas moins de soixante-huit loges dans les camps de l’Empereur. Il est permis de penser qu’entre le sabre et la truelle, ces héroïques coureurs de victoires préféraient le premier outil. La Restauration survint : la maçonnerie, en d’emphatiques circulaires, applaudit à la paix restaurée ; mais si l’on remarque que Macdonald et Beurnonville, « grands conservateurs de l’Ordre, » Kellermann et Augereau, dignitaires de la « grande loge d’administration », le duc de Dantzig, Masséna, Moncey, Dessoles, dignitaires de la « Grande Loge symbolique, » Serurier, Mortier, Soult, Ganteaume, Oudinot, Maison, dignitaires du « Grand Chapitre, » présidaient à ces batteries d’allégresse, on n’imputera pas à ces vétérans de la gloire la moindre pensée d’hostilité contre le militarisme, et les attendrissemens auxquels ils se livraient en loge n’amortissaient pas, sur leurs lèvres, la vibration des antiques souvenirs, des récits belliqueux, des anecdotes triomphantes. Le prince Murat, grand maître au début du second Empire, fit grand plaisir à un vénérable maçon dont l’initiation remontait à 1795, Boubée, en convoquant à Paris, en un congrès maçonnique universel, pour le mois de juin 1855, les délégués des 53 Grands Oriens de l’Univers, qui groupaient sous leur obédience 4 623 loges : ce congrès ne fut rien plus qu’une inoffensive démonstration d’amour. Les circulaires et les allocutions de Murat, de Magnan, de Mellinet, et l’invitation lancée