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de Quinet, de Vacquerie, de Michelet, de Du Camp, il y avait là Babaud-Laribière, Barni, Brelay, Cantagrel, Chauffour, Crémieux, Duclerc, Dethou, Guichard, Hendlé, Hérold, Songeon, Schœlcher, Talandier, Ténot, Tirard, et, pour citer quelques vivans, MM. Allain-Targé, Cazot, Cluseret, Emile Deschanel, Alfred Naquet, Antonin Proust, Ronjat, de Selves ; nous ne voulons rappeler aujourd’hui que les signatures « politiques. »

Avec quelque anxiété, Prévost-Paradol laissait dire : il assistait, songeur, à ce déchaînement d’antipathie contre l’institution militaire ; et puis il ciselait un des chapitres de la France nouvelle, dans lequel il remettait les choses au point. « Il faut se garder de trop avilir la guerre dans l’opinion des hommes, » écrivait-il. Et les distinctions compétentes du parti démocratique entre les guerres défensives et les guerres offensives, entre les guerres justes et les guerres injustes, faisaient sourire, d’un sourire attristé, l’avisé publiciste : il ne se flattait point, lui, d’un discernement aussi sûr ; et ces anti-militaristes avaient une faculté de simplification qui commençait par l’étonner et finissait par l’effrayer. Guerre défensive, guerre offensive, qu’était-ce à dire ? N’advient-il pas des cas où l’une et l’autre nations peuvent être réputées, avec une égale vraisemblance, provocatrices et provoquées ? Et puis est-il bien sûr qu’une guerre défensive ne réclame pas une armée aussi vigoureusement exercée qu’une guerre offensive ? Paradol poursuivait, constellant ainsi de points d’interrogation les certitudes complaisantes de l’opposition républicaine ; et comme s’il eût prévu les étranges conséquences où tôt ou tard aboutiraient des logiciens qui volontiers assignent leur patrie et l’armée de leur patrie au tribunal de leur pensée libre, il écrivait, avec ce mélange de douceur et de force, qui faisait le charme de son talent, les lignes que voici :


il arrive presque toujours que les questions sont assez mêlées, et qu’il y ait assez de justice des deux côtés, au moins en apparence, pour qu’on puisse combattre sans trouble et mourir sans amertume sous le drapeau de son pays. Ce drapeau lui-même est d’ailleurs, avec raison, suffisamment persuasif, puisqu’il rappelle que la patrie doit être servie, même si elle se trompe, parce qu’elle périt si on l’abandonne, et que sa chute est un plus grand mal que son erreur.


Paradol était mort, drapé dans sa mélancolie, lorsque l’opposition, devenue gouvernement, commença de comprendre ces salutaires vérités.