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défilé avait fait dire à certains ambassadeurs : « Paris est imprenable ! » Et Jules Simon lançait cet axiome : « Inutile au dedans pour la justice, le soldat n’est même pas nécessaire à la frontière. Un pays qui a des citoyens est invincible ; cette terre enfante des vengeurs et des héros, comme un champ fertile qui donne par année deux moissons. » On avait assez, d’ailleurs, d’entendre toujours parler de guerre ; et cela finissait par agacer Garnier-Pagès : c’est pour « faire des dérivatifs, disait-il, pour des avantages particuliers, pour des épaulettes, qu’on voulait la guerre... La guerre, c’est l’anarchie par le haut, la pire de toutes les anarchies, l’anarchie de la force. Le droit de la guerre, vous l’appelez, quand c’est du petit au grand, un brigandage ; et moi, quand c’est du grand au petit, je l’appelle une infamie. Si la guerre défensive est le plus saint des devoirs, la guerre offensive est le plus grand des crimes. »

Cette distinction revient souvent dans les publications du temps ; elle était le leurre dont l’opinion républicaine se tranquillisait et s’abusait. M. Charles-Louis Chassin, en 1868, « avec l’appui zélé de la plupart des démocrates francs-maçons », lança une feuille hebdomadaire, qui s’appelait la Démocratie. On lisait en son programme :


Comment éviter les conséquences forcées d’une politique militaire, également funeste, soit qu’elle procure une fausse gloire, la servitude et le déficit, soit qu’elle provoque la défaite, la honte et la ruine ;

Comment rendre impossibles les expéditions lointaines, les interventions religieuses ou politiques, les annexions sous prétexte de frontière naturelle, toutes les luttes d’ambition, d’influence, de conquête :

Si ce n’est en revendiquant pour les nations elles-mêmes, — souveraines tenues d’exercer leur souveraineté, — le droit de guerre et de paix ;

Si ce n’est en réclamant l’abolition des armées permanentes, qui ne sont bonnes que pour l’attaque ; l’organisation des milices nationales, bien supérieures pour la défense ; la préparation, dès l’école, de l’armement général du peuple, seul capable d’assurer l’inviolabilité de son territoire ;

Si ce n’est en inspirant le respect absolu de la vie humaine, en apaisant les hostilités de race, les jalousies nationales, en affirmant l’unité de la démocratie universelle, en cherchant la paix sérieuse dans la libre confédération des peuples libres.


Parmi les adhérens dont s’enorgueillissait ce programme, on trouvait un grand nombre des hommes qui, peu d’années après, furent appelés par leur propre passé et par les infortunes de la France à devenir parti de gouvernement : à côté de Louis Blanc,