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source de haine entre les peuples, et de défiances à l’intérieur. » Au gré des circonstances, de l’humeur de l’auditoire ou du tempérament des orateurs, les armées permanentes étaient taillées en pièces par des invectives à la Juvénal, ou prenaient la fuite d’elles-mêmes devant l’éblouissant mirage de je ne sais quelles berquinades démocratiques. Et quant à la levée en masse, elle ne provoquait l’enthousiasme des orateurs de l’opposition qu’à la condition qu’elle fût improvisée. On alléguait la Prusse, nation armée, elle, et exercée au métier des armes, pour réclamer en France la nation armée, mais on repoussait l’exercice comme inutile.

Le vieux parti républicain soutenait à cet égard une thèse spéciale, développée dès 1848 par Jean Macé, dans ses opuscules de propagande populaire. Ouvrons, par exemple, les Entretiens du père Moreau : « Si les soldats, dit l’un des interlocuteurs, travaillaient au lieu de flâner dans les garnisons, qu’on ne sait pas A quoi les occuper, qu’on les assomme d’exercices où c’est toujours la même chose, et qu’ils passent leur vie à astiquer leurs gibernes et à être mis à la salle de police, parce qu’elles ne reluisent pas assez bien, ça n’empêcherait pas de les trouver quand on en aurait besoin... Le vrai métier de soldat ne s’apprend qu’à la guerre, et deux mois de campagne vous en donnent plus long là-dessus que dix ans de garnison... Pourquoi donc rester six ans à apprendre des choses qu’on met de côté quand il faut s’en servir ? » Donc on s’armerait lorsqu’il le faudrait, sans avoir presque rien appris ; mais pour apprendre, deux mois suffiraient, — c’est le colonel Réguis, membre de la majorité, qui l’affirmait ; — et l’opposition triomphante ne doutait pas un seul instant que l’ennemi fît crédit de ces deux mois. D’ailleurs on avait la certitude que la victoire du principe de la nation armée amènerait la suppression de la guerre extérieure.

De même qu’on soupçonnait les armées permanentes d’être des engins dirigés contre la « souveraineté » des citoyens, de même on attendait de la nation armée qu’elle fût le champion de cette « souveraineté, » comme l’avait été, en juillet et août 1792, le camp de volontaires et de fédérés, rassemblé par l’Assemblée législative sous les murs de Paris. « Tout citoyen doit s’armer pour faire respecter la volonté générale. Quand la volonté générale semble se partager en deux camps, il doit, selon sa conscience, prendre parti pour l’un ou pour l’autre. Si quelque chose