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sociétés modernes, qui font vivre les rois et mourir les peuples, » parmi « les sept colonnes de l’édifice maudit. »


Il a soif en Crimée, il a soif en Mexique,
De sang européen ou bien de sang cacique,


écrivait le même Rogeard au sujet de Napoléon III, l’âme la plus sensible peut-être qui ait jamais conduit un peuple ; et sans doute, en ses hallucinations, se représentait-il les soldats tendant à l’empereur des coupes de sang et consommant avec lui


La Saint-Barthélémy des libertés du monde.


On remuait le temps et l’espace pour trouver des argumens contre le militarisme. Vacherot remontait dans le passé ; il saluait Socrate, Sophocle, Cincinnatus, à la fois soldats et citoyens, et faisait admirer aux Français les républiques antiques, où le camp ne faisait jamais oublier la cité. Jules Simon invoquait l’exemple de l’Angleterre pour demander qu’on donnât aux petits Français une instruction militaire qui remplacerait avantageusement la caserne. De savoir d’ailleurs si cette personne européenne et continentale qu’était la France de 1859 ou de 1868 ressemblait et se pouvait légitimement comparer à cette autre personne européenne et maritime, qu’était l’Angleterre, ou bien encore aux républiques antiques, Jules Simon ni Vacherot n’en avaient cure : sous leur plume ou sur leurs lèvres, les exemples historiques émigraient à travers les siècles ou bien à travers la Manche, avec la même aisance avec laquelle on transporte un argument sur une feuille de papier.

Leur conclusion, c’était qu’à l’armée nationale la nation armée devait être substituée ; et la nation, par surcroît, devait être armée le moins possible. Car on espérait qu’un jour les fusils Chassepot seraient remplacés par des socs de charrue et que l’on clouerait sur la porte des arsenaux un écriteau portant ces mots : Musée d’antiquités. Jules Simon développait ces perspectives avec un bel entrain. « Les armées permanentes, disait M. Magnin, sont jugées et condamnées. Il n’y a que l’armement général du pays, alors que nous serions menacés par l’étranger, qui pourrait le rejeter hors de nos frontières. » Et lorsque en 1868, Gambetta posait sa candidature à Paris contre Carnot, il inscrivait dans son programme « la suppression des armées permanentes, cause de ruine pour les finances et les affaires de la nation,