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d’une telle intervention, Marc Dufraisse, délibérément, abandonnait la doctrine et retenait l’hostilité[1].

Mais r Opinion nationale f de Guéroult, l’Avenir national, de Peyrat, le Temps de Nefftzer, n’avaient point, comme Marc Dufraisse, tant d’audace que d’opter entre la crainte de l’armée et l’amour des nationalités : ils mêlaient en un habile dosage ces deux sentimens, sans vouloir s’avouer que pratiquement les conséquences en étaient inverses. Pour8uivre, au nom du droit révolutionnaire, un rêve de modification européenne, et répudier ou diminuer, au nom d’un esprit de suspicion anticésarienne, les préparatifs belliqueux qu’impliquait la poursuite d’un pareil rêve : c’étaient là deux attitudes contradictoires[2]. Et si vous vous demandez pourquoi les hommes du parti républicain, sous le second Empire, eurent une politique extérieure si incohérente et si médiocre, vous en trouvez l’origine dans cette contradiction-là.

L’histoire de la Révolution française, commentée par M. Chassin dans un livre retentissant : L’Armée et la Révolution, les induisait à croire à l’invincible vertu de la levée en masse ; l’histoire du premier et du second Empire les rendait, à l’endroit des armées permanentes, irrémédiablement ombrageux. On érigeait en axiome cette idée que le métier des armes était incompatible avec une société démocratique : la thèse est développée dans la Démocratie d’Etienne Vacherot, avec une gravité calme qui semble en accentuer la hardiesse. Si la France était affligée d’une armée permanente, c’est parce qu’elle était affligée d’un César : ces deux institutions parasites, l’Empire et le militarisme, — sorte de champignons éclos sur le terreau démocratique, — étaient solidaires et connexes ; et les républicains haïssaient l’armée prétorienne de toute la haine qu’ils portaient à l’Empire. Rogeard, alors illustre, la rangeait parmi « les sept fléaux des

  1. Son Histoire du Droit de Paix et de Guerre, qui lui valut des attaques nombreuses, est à relire aujourd’hui. Dufraisse écrivait en une langue spirituelle, sautillante, mordante ; il profitait des loisirs que lui faisait la proscription pour émousser ses traits, les tremper dans le fiel, et puis les laisser sécher : ce livre, qui n’est point sans valeur historique, est un monument d’ironie corrosive et refroidie.
  2. C’est ce qu’indiquait, non sans finesse, Agricol Perdiguier, dans sa lettre à Havin, intitulée : France, reste debout ! Désireux de voir la France agir en faveur de la Pologne, il ne comprenait pas la campagne des orateurs de l’opposition en faveur du désarmement. Cette lettre est reproduite dans sa brochure : Despotisme et Liberté, p. 25-33.