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Forge, à qui la troisième République devait faire un nom et composer une gloire. Toutes deux réclament l’intervention française en Italie, c’est-à-dire la guerre. Et la brochure de Fauvety a pour épigraphe ces mots de Dante : Che cerchi ? — la pace. Et la brochure d’Anatole de la Forge est intitulée : la Guerre, c’est la Paix. Une guerre encore, celle d’Italie, et la paix régnerait, fatalement ; l’affranchissement du peuple italien serait la transition immédiate vers l’harmonie générale de l’unité humaine ; ce n’est plus en un sens terre à terre, mais en un sens métaphysique, qu’on disait une fois encore, et pour la dernière fois : Si vis pacem, para bellum[1].

Cependant les responsabilités mêmes du gouvernement devaient contraindre le pouvoir impérial à réfléchir progressivement aux conséquences qu’aurait, sur notre frontière du Sud-Est et plus tard sur celle de l’Est, la victoire du principe des nationalités : un ministre, un diplomate comptent avec les faits et n’ont pas le droit de spéculer exclusivement sur une table rase qu’ils baptisent arbitrairement du nom d’Europe. Tout au contraire, le parti républicain, héritier fidèle des idées révolutionnaires, refusa d’admettre, pendant toute la durée de l’Empire, qu’un péril pût surgir pour la France, soit sur le Rhin, soit sur les Alpes. Une sorte de triple alliance des démocraties française, italienne, allemande, — la première émancipatrice, les deux autres émancipées, — devait inaugurer la fédération européenne et humanitaire.

Les éducateurs et les patriarches de l’opposition républicaine, les Garnier-Pagès, les Carnot, étaient des vétérans de 1848. L’Allemagne s’unifiant, c’était pour eux l’œuvre du parlement de Francfort se continuant, œuvre essentiellement pacifique et démocratique. Garnier-Pagès aimait à redire, à la tribune, les élans auxquels s’étaient laissé entraîner les députés de la Constituante ; leurs vœux unanimes réclamant un « pacte fraternel avec l’Allemagne, la reconstitution de la Pologne indépendante et libre, et l’affranchissement de l’Italie ; » et la réponse, enfin, du parlement allemand annonçant que l’Allemagne « acceptait avec

  1. Quelques années après, un livre qui fut très répandu dans les loges : l’Europe aux Européens, par Edouard Talbot, réclamait une dernière guerre pour nous délivrer de la guerre : cette « dernière guerre » devait être dirigée par les États-Unis d’Europe contre le despotisme russe, auquel Talbot refusait le titre de « puissance européenne. »