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l’œuvre de la concorde ; il avait fait proclamer la nécessité d’un système de désarmement ; il avait enfin fait entendre dans Paris, dont il aimait les échos sonores, de superbes projets d’arbitrage international développés par Elihu Burritt, le forgeron de Worcester ; par Henri Vincent, l’ancien contremaître de Manchester ; par le Révérend Mahan, délégué des États-Unis.

Et les épanchemens étaient trop cordiaux, l’enthousiasme trop débridé, pour qu’on entrevît sur l’heure les deux courans qui coexistaient dans ce congrès ; mais cette dualité existait, et elle était très nette. Le plus ombrageux patriote eût écouté sans alarme les orateurs anglais : la nature elle-même, en faisant de l’Angleterre une île, a tracé d’un trait si décisif les limites de la patrie anglaise, qu’il ne viendra jamais à l’idée d’un Anglais de contester la légitimité de la notion de patrie. Mais on surprit, en revanche, sur certaines lèvres françaises, sur celles de Coquerel, entre autres, et d’Emile de Girardin, un accent plus révolutionnaire : Coquerel développa une thèse contre les armées permanentes ; Girardin, se présentant comme un soldat de la paix, afficha son intention formelle de travailler sans relâche à détruire « le recrutement, qui arrachait le jeune Français de sa commune pour en faire un instrument de révolution. » De toute évidence, Coquerel et Girardin ne prêtaient attention qu’à la servitude militaire ; la grandeur militaire leur échappait ; on en eut encore la preuve, l’année suivante, au Congrès de Francfort-sur-le-Mein, où l’on vit du reste le spectacle touchant d’Emile de Girardin venant faire sa coulpe en public, et s’accusant, avec repentance, d’avoir autrefois, d’une balle brutale, réduit à néant la noble intelligence de Carrel. On pouvait prévoir, à Francfort comme à Paris, qu’à mesure que le mouvement pacifique se déroberait aux influences anglaises, il sortirait de sa phase philanthropique pour entrer dans une phase politique, et qu’il s’acheminerait ensuite, d’une allure rapide, vers une phase subversive, au cours de laquelle le simple respect de l’armée et l’idée même de patrie risqueraient de péricliter. Le second Empire, qui survint bientôt, allait précipiter cette évolution.


III

Le gouvernement de Napoléon III et le parti républicain prétendaient, l’un et l’autre, se rattacher à la tradition révolutionnaire :