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du résultat. Malheureusement avant le départ, très glorieux de cet heureux état, ils viennent trouver le bonze et lui demandent d’en juger par lui-même. Le sorcier, un peu hésitant avant l’épreuve, leur demande s’ils sont bien sûrs de se sentir invulnérables. Mais l’affirmation est si énergique qu’il saisit son coupe-coupe, le grand sabre laotien, il en assène un coup sur l’épaule du futur soldat le plus rapproché, et lui enlève un énorme morceau de chair. Son camarade court encore, ne se flattant plus, hélas ! d’être invulnérable. Le sorcier-bonze a dû quitter Luang-Prabang, où son crédit avait en vérité trop souffert de cette mésaventure. Tous ces récits faisaient sourire le vieux satou de Wat-Maï, avec son air sceptique et très fin. Souvent, une voix forte se mêlait à nos causeries nocturnes, celle d’un personnage invisible. Elle sort de derrière un cadre, ou du plafond, ou de l’arbre voisin. Elle crie : takou, takou, keu, keu, hô, hô, hô et finit en un gros éclat de rire. Les indigènes ne lui feraient jamais de mal, c’est l’ami de la maison, le jecko, un gros lézard vert très inoffensif et destructeur d’insectes, qu’on nomme le plus communément takou par onomatopée.


ISABELLE MASSIEU.