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famille, il n’y avait pas la moindre querelle. Le plus admirable est qu’elle rapportait ce dernier trait comme le plus naturel du monde.

Chaque semaine le roi sort de son palais pour aller à la campagne, soit par eau, soit à cheval. Quand il se rend, pour affaires, chez le commandant supérieur, il y vient à cheval ou en voiture, avec une très petite escorte et sans apparat, tout comme un Occidental. Mais dans le grand cérémonial et à la grande fête du douzième mois, qui est leur jour de Tan, il est porté sur un trône, la couronne d’or sur la tête, entre deux lignes de ses pages, les matéleks, agenouillés sur son passage, et présentant la garde de leurs sabres en faisant le salut.

De même, — et j’ai été autorisée à en prendre un instantané, — dans les grandes audiences, il est entouré de ses mandarins ; et les mateleks forment devant le trône deux longues lignes concentriques le sabre abaissé.

Le commandant supérieur, fonctionnaire purement civil, est très aimé de toute la population, et il a su trouver de l’appui et des aides dans toutes les classes de la société. Les bonzes eux-mêmes lui ont été d’un grand secours, et surtout le plus influent d’entre eux, le vieux satou de la pagode de Wat-Maï (satou veut dire prince ou monseigneur). Adepte fervent de nos idées, le chef de la pagode de Wat-Maï a été l’auxiliaire le plus précieux de M. Pavie et de M. Vacle. Il se préoccupa surtout de faire pénétrer dans l’âme des Laotiens l’amour des Français. Il saisit aisément l’utilité de nos mesures, et s’efforce de les faire adopter. Je le voyais quelquefois, le soir, vers dix ou onze heures, apparaître, entre les draperies d’une porte du grand hall de la résidence. Drapé dans ses soieries pâles, il se tenait fixe et silencieux comme un spectre, jusqu’à ce qu’on s’avisât de sa présence. Il ne sort que la nuit, il ne peut supporter la lumière du soleil après les nombreuses années qu’il a passées dans l’obscurité des grottes bouddhiques. Il avait une immense influence sur le vieux roi. Il est l’ami de Zaccharine ; et, dans ce petit et intéressant royaume, toutes les grosses questions qui depuis trois ans ont été résolues et tranchées, sans secousse, mais non sans peine, ont été préparées avec lui dans de longs entretiens nocturnes. Sa figure impassible prend une finesse et une malice extrême dès qu’il s’anime. Il s’amusait fort de mes questions sur les mœurs, les usages et les légendes du pays et des réponses qui m’étaient faites.

Les Laotiens proprement dits habitent les centres, les vallées,