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tiennent constamment couchés, tandis que, sur une autre estrade plus basse, une centaine de bonzes réunis psalmodient et récitent des prières. A côté, sur une estrade semblable, toute une ligne de jolies filles sont assises sur leurs talons, le dos appuyé au mur : elles feignent d’éplucher et de préparer diverses graines et friandises pour Le repas des bonzes. Sûrement, les vieilles femmes seront encore obligées, le lendemain, de se lever à trois heures du matin ; car ce sont les femmes qui doivent préparer les alimens des prêtres, tenus de prendre avant midi leurs deux repas de la journée.

Un orchestre, tout auprès des pousao, fait entendre ses mélodies profanes sans souci des bonzes ; et voici que bientôt s’avance la phalange des poubao. Ils montent les degrés de la terrasse, l’écharpe rejetée sur la tête ; chaque amoureux vient s’asseoir en face de celle qu’il a remarquée, le visage voilé, pour l’intriguer peut-être, ou pour lui conter et chanter plus librement ses improvisations. L’un joue de la guitare ou bien du kenh, la grande harpe laotienne à longs et légers tuyaux de bambou ; l’autre joue de la flûte ; cet autre encore frappe du tam-tam. Jusqu’à deux heures du matin, ce peuple noctambule et paresseux se livre ainsi au flirt. De même, sur la terrasse de sa maison, la pousao va, la soirée entière, causer à l’écart avec son poubao. S’il en arrive mal et que la fille se plaigne, le garçon doit l’épouser ou payer quinze roupies. Si la faute a des conséquences, il paiera trente roupies. Le poubao ne se défend pas ; il avoue toujours qu’il lui avait promis le mariage et qu’il pensait qu’elle ne se plaindrait pas. Toutes les offenses aux femmes sont taxées ; chaque baiser est coté selon son importance. L’adultère est très rare, et passible d’une très forte amende, — deux cents roupies, je crois.

Les disputes sont inconnues dans ce joyeux pays, le Laotien est doux comme un enfant. Et cependant, quand j’y suis arrivée, tout Luang-Prabang venait d’être bouleversé par un de ces événemens qui pourraient bien marquer la fin des temps : deux femmes s’étaient disputées au marché I peut-être prises au chignon ! Et le roi avait été obligé de promulguer un édit qui fut affiché au bazar ! Dans des pays plus civilisés, j’entends dire que des hommes, des mandarins élus même, se malmènent assez bruyamment, et nul ne s’en émeut plus.

Les conditions sanitaires sont favorables aux Européens ; et