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grandes visières. Quelques-uns y voyaient un souvenir du pas- sage de la mission Doudart de Lagrée et Francis Garnier.


Les Laotiens croient aux , c’est-à-dire aux mauvais esprits. Ils semblent rendre quelque culte aux forces de la nature. Ils honorent la lune, et pendant les éclipses des salves retentissent. Au temps de la pleine lune, les filles de Luang-Prabang s’en vont chaque soir, le buste presque toujours découvert, en longue théorie ou par groupes, et les bras enlacés, chanter à l’astre nocturne leurs plus tendres aspirations : histoires d’amour ou invocations improvisées. Princesses et filles du peuple se mêlent ensemble, et, quand deux troupes se rencontrent, on échange de joyeux propos. Chaque couplet finit toujours en un cri modulé, prolongé, qui, dans les chaudes nuits, se continue jusqu’à deux et trois heures du matin, et reste comme la caractéristique des chants des filles laotiennes.

Ces jolies filles de Luang-Prabang vivent sans mérite et sans défaut, doux et charmans animaux, faciles et joyeux comme ce peuple indolent et bien portant, qui n’a de réelle énergie que pour rire, chanter et s’amuser. Un peuple de vrais païens, dont la jouissance et le plaisir sont les dieux ! Jeunes gens et jeunes filles n’aiment rien tant que plaisanter, chanter et parler d’amour. Ce sont, comme on l’a dit, des cours d’amour perpétuelles. Leurs poèmes improvisés relèvent du naturalisme : quelques refrains seraient d’une crudité à ne se répéter qu’en latin ou en laotien. Je ne parle ni l’un, ni l’autre.

Tous les garçons de Luang-Prabang font leur poubao (les beaux galans) : ils apportent des fleurs aux jeunes filles, aux pousao, ils leur font de la musique, leur récitent des vers, jouent aux cartes avec elles, ou, par groupes, filles et garçons réunis, jouent aux petits jeux. Jadis une loi dispensait les jeunes Laotiens du service militaire et de l’impôt, parce qu’ils se devaient avant tout aux jeunes filles. L’article est aboli, mais il révèle l’état d’esprit du peuple. Je les voyais, le soir, dans les pagodes, ou bien encore chez un mandarin, un pya, qui relevait de maladie, sauvé, disait-il, par l’intercession des bonzes. Un grand baraquement était construit sur le bord du Nam-Kane, en face de son grand pont qui fléchit sous le pied. Sur une estrade très élevée, on a dressé une sorte d’autel rempli de bouddhas, avec une chaire pour la lecture, et deux bonzes, en gardes d’honneur, s’y