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sur le haut Mékong, les Laotiennes riveraines portent presque toutes l’écharpe entièrement basse, laissant la poitrine et même le ventre à découvert. Les Laotiens ont les cheveux coupés court, comme les Siamois, et hérissés en broussaille comme les Cambodgiens.

Des femmes et des enfans venaient chercher l’eau au fleuve dans des tubes de bambou. Elles ont grand soin de les rincer avant de les emplir, et, pour les emplir, de les soulever afin de laisser échapper l’air. J’ai vu de pauvres fillettes et des femmes, grandes comme nos enfans de onze et douze ans, porter sur leur dos sept de ces tuyaux de bambou, mesurant 10 centimètres de diamètre sur 70 de profondeur. Elles les prennent adroitement dans un lien que resserre le poids des tubes, et elles les maintiennent sur leur front au moyen d’une lanière.

Un grand feu a été commandé sur la rive, auprès de ma pirogue, avec une garde de nuit. Ce peuple, le plus bavard et le plus noctambule qui soit, jaserait et rirait jusqu’à l’aube, si je n’y mettais bon ordre pour pouvoir reposer en paix sur mes nattes et dans mes couvertures, à la fraîcheur de la nuit.


De grands rochers brisés, déchirés, de couleur gris pâle comme le sable qui les avoisine, bordent le plus souvent le Mékong ; et au-dessus, et partout, toujours, la grande forêt qui ne finit pas, éclairée sur l’une des berges par ses arbres en fleurs. Je retrouve les belles fleurs roses du pays shan, retombant souvent en grand voile du sommet des plus hauts arbres jusque dans l’eau du fleuve. On entend sans cesse les grondemens des eaux, battant contre les troncs d’arbres accrochés dans le courant ou contre des îlots de rochers. On croirait à une chute d’eau terrible ; mais, quand on arrive, les piroguiers contournent si habilement recueil qu’on sent à peine la difficulté. Ailleurs, c’est un véritable entonnoir dans lequel on se lance ; et, une fois qu’on est pris par le courant, il faut aller jusqu’au bout, rencontrer plus ou moins le courant contraire, traverser ou tourner, comme on peut, les plus gros tourbillons, qui se poursuivent en clapotis pendant des kilomètres. De grandes cascades descendent des berges dans un fracas de tonnerre. On ne sort d’un rapide que pour en retrouver un autre ; souvent, un bruit de tourbillon s’élève, à l’improviste, au-dessus d’obstacles invisibles. Et ces piroguiers, qui, chaque soir, ont fumé l’opium avant de s’endormir,