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de leur chef, et alors elles défilent comme à la parade sous la mitraille de l’ennemi. C’est assez pour la gloire des défaites, mais non pour le profit des victoires. Les troupes républicaines n’avaient pas à opposer d’hommes comparables par la culture générale, ni l’instruction militaire, ni la tradition du courage. Mais ces paysans et ces ouvriers, sauvés de la démagogie par une discipline de fer, savaient non seulement s’exposer, mais obéir. Leurs chefs, indifférens aux élégances de la guerre, en cherchaient les résultats solides. Voilà pourquoi elles devaient l’emporter. Et leurs avantages, obtenus par ces régimens de peuple contre ces régimens de noblesse, ne contribuèrent pas peu à grandir la Révolution à ses propres yeux et aux yeux de l’Europe.

Si l’émigration qui se battait servit mal sa cause, celle qui se contentait d’attendre le succès se compromit même aux yeux de l’étranger qu’elle voulait gagner. Elle aussi, eut de l’énergie ; il lui manqua de la gravité. Sans doute la belle humeur est parfois elle-même du meilleur courage, et il est très français de « déconcerter la mauvaise fortune en lui riant au nez. » Mais le rire sied contre les déceptions et la misère, pas contre le deuil. Le sérieux est la décence du malheur. Il y avait une grande pitié prête dans le monde pour cette aristocratie qui perdait tout à la fois : mais cette pitié fut déconcertée quand, après la mort du Roi et l’exécution des plus illustres victimes, ces familles, toutes atteintes, continuèrent à faire de l’esprit, des vers, à jouer la comédie, et à danser en exil, tandis que la chute du couteau sur les têtes des amis et des proches marquait en France la mesure. Le monde se demanda si c’était de l’héroïsme qui cachait ses douleurs ou de la légèreté qui ne les sentait pas.

Les plus inexcusables furent les princes de la famille royale. La noblesse, depuis longtemps, mettait sa dignité à obéir et son amour-propre à imiter la Cour. Le Roi tenu pour captif, la noblesse attendait les ordres et les exemples des Princes. Le signal de l’émigration est donné par les Comtes d’Artois et de Provence ; le ralliement est un sauve-qui-peut. Aucune des conséquences n’apparaît à ces conducteurs d’hommes ; ils ne s’inquiètent pas si leur fuite menaçante ne sera pas la perte du Roi, leur frère, qu’ils prétendent défendre ; en attendant, ils ne sont d’accord que pour l’annuler ; loin qu’ils se dévouent à la solidarité familiale, ils montrent les préoccupations personnelles qui rompent les dynasties en factions ; et l’on se croirait revenu aux jours où,