Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/348

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

victoire, deux victoires, puisqu’il a deux audiences de l’Empereur.

Il devait la première, d’un instant, à sa persévérance, et la seconde, d’une heure, à la bonne impression qu’il avait faite. Alexandre devina un homme qui, chose rare parmi les émigrés, ne mettait pas son dévouement à méconnaître l’évidence. Il crut que la réponse faite à un tel messager parviendrait fidèlement à Louis XVIII, qu’il était utile de la faire, et il dit la moitié de sa pensée, ce qui est, pour un souverain, donner toute sa confiance. Aussi est-ce sur un ton de familiarité qu’il explique ses motifs pour ne rien accorder au Comte de Lille. La Russie et la Prusse ne suffisent pas à vaincre Napoléon. Il faut le concours de l’Autriche, qui portera la victoire où elle portera son alliance, et qui ne se prononce pas encore. L’empereur François Ier aspire à réparer ses pertes, il est sollicité par ce sentiment de se joindre à la Russie et la Prusse ; mais il ne veut pas sacrifier les droits de sa fille Marie-Louise et de son petit-fils le Roi de Rome. Que la Russie paraisse lier partie avec les Bourbons, cela suffirait peut-être à le jeter du côté de son gendre, et il n’en faudrait pas plus pour perdre à la fois la cause de l’Europe et celle de la légitimité. Tout doit momentanément être subordonné à l’entente avec l’Autriche, demandât-elle des garanties en faveur de la dynastie napoléonienne. « Si nous parvenons à rejeter Napoléon de l’autre côté du Rhin et qu’alors, comme je n’en doute pas, il se manifeste en France quelque mouvement en faveur du Roi, croyez que je saurai profiter de ce moment pour faire entendre à l’Autriche que, mon seul but ayant été de rendre la liberté aux nations, le vœu du peuple français rend nul tout engagement pris avec elle. Occupez-vous d’augmenter le nombre de vos partisans en France, vous m’autoriserez à tout quand je serai sur vos frontières. » C’est peu d’un conseil pour qui attend un secours, et ce conseil ruinait toute la politique des Bourbons. Leur unique espoir était d’être ramenés à la France par les armes de l’Europe, et le chef de la coalition européenne déclarait qu’il n’imposerait pas un gouvernement à la France. Non seulement il refusait tout dans le présent, il ne promettait rien dans l’avenir. Mais ces duretés disparaissaient sous le velours de ses paroles, et comment ne pas croire à la sympathie d’un empereur qui fournit de si bonnes raisons pour ne pas vous servir, et qui vous parle comme il fit à La Ferronnays, son doigt passé dans une boutonnière de votre habit ?