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que, d’après ce que lui avait affirmé le dernier envoyé du Roi, il croyait qu’une force royaliste de plus de 150 000 hommes se tenait prête à agir au mois de mars. » Prenant un air déçu, il rejette sur l’inaction des royalistes français la responsabilité de l’inaction russe. La Russie a besoin que le gouvernement de la France respecte l’indépendance des autres États : cette indépendance, que la Russie exige pour elle-même, elle ne saurait l’enlever à la France en y installant par la force un gouvernement. C’est à la France de manifester d’abord ses sympathies pour la famille royale : les autres États s’empresseront de sanctionner ce vœu public, mais ils ne leur appartient pas de le suppléer. Quand le ministre de l’autocratie absolue a donné au mandataire de la légitimité cette leçon sur le droit des peuples, et accordé aux Bourbons dans sa causerie l’importance qu’ils ont dans l’Europe, c’est-à-dire presque rien, il vient à l’état de cette Europe, en homme pressé de reprendre contact avec les réalités. Il raconte, durant un entretien de deux heures, en vieillard qui de souvenirs en souvenirs se plaît à revivre sa vie, les luttes, les difficultés, les épreuves et les succès de sa politique. Et tout, projets, obstacles, calculs, a pour objet un seul homme, tantôt ennemi, tantôt allié, mais inévitable, mais universel. Napoléon. Et La Ferronnays, accoutumé aux propos des émigrés sur « l’usurpateur » et « l’ogre de Corse, » s’étonne que cet ennemi public trouve en Russie, au lendemain de Moscou, des critiques si mesurées, une justice si large, bien plus, une admiration si visible. Après quoi, Romanzof se déclare prêt à donner sa dernière et non sa moindre marque d’amitié à La Ferronnays, en lui signant des passeports pour joindre le Tsar, seul maître de la politique, et, avec un air de rendre service, se débarrasse de l’envoyé.

Quand La Ferronnays arrive à Dresde, Napoléon a surpris les alliés par la promptitude de son retour offensif ; une bataille est imminente. Qui aurait le loisir de songer à Sa Majesté Très Chrétienne et à son ambassadeur ? « Sans uniforme, dans un moment où l’on n’a d’égards que pour ceux qui se battent, » sans patrons assez chauds pour tempérer les premières froideurs de Nesselrode qui sont un congé, il se sent si délaissé, si perdu, qu’il en tombe malade à mourir. Mais il est dans sa nature, même quand il désespère, de continuer la lutte. Il est plus obstiné que son mal, que les portes fermées, que les visages clos ; il a le secret de plaire même quand il sollicite ; et il obtient, le lendemain de Lutzen, sa