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qui lui prescrit de ne pas quitter le Duc de Berry. Berry ne cesse de répéter qu’il veut partir et attend à Londres, Enghien est déjà sur la frontière, le Comte d’Artois passe ses jours près de Mme de Polastron mourante ; les réfugiés s’entretiennent du changement qui s’apprête, le tiennent pour si certain qu’ils ne savent pas sacrifier leur bavardage à ceux qui risquent leur vie ; le complot devenu le secret des salons tombe dans l’oreille de la police ; Bonaparte, selon sa coutume de prévenir ses ennemis, enlève le duc d’Enghien ; le parti royaliste perd le seul prince qui sût agir, et par la faute de ceux qui ne savent que parler.

Par le meurtre de Vincennes, Napoléon avait assuré sa vie. Jusqu’au fond de l’Europe tous les Bourbons se sentirent menacés par ces représailles qui ne connaissaient pas de frontières, et depuis lors ces princes s’abstinrent de complots. Il ne restait plus même au Duc de Berry l’illusion de nouvelles entreprises. « Il n’est pas de meilleur remède au chagrin que le danger, » dit M. de Beauregard : le mot pourrait être signé du prince de Ligne ou de Boufflers, tant il a, dans sa vaillance, la grâce de leur siècle. Mais Berry avait plus d’ennui encore que de chagrin, et le remède le plus simple à l’ennui, c’est le plaisir. Omphale est toujours là pour consoler les Hercules sans travaux. Le jeune prince se laissa distraire par elle, ou plutôt par elles. Car, dans ses amusemens même, il portait son incapacité de choisir et d’attendre ; il fallait que ses voluptés aussi fussent faciles. Il peut y avoir jusque dans le dérèglement des mœurs un souci de dignité mondaine : mais le prince ne se bornait pas à des désordres de son rang, et à des « morceaux de roi. »

Cette vulgarité d’inconduite attristait d’autant plus La Ferronnays qu’il subissait une crise bien différente. Incrédule depuis la mort de sa mère, il se trouva ramené vers la foi par la guérison inespérée d’un enfant. Il en était encore à cette philosophie trop sommaire où l’homme, traitant Dieu en homme, tient avec lui un compte de doit et avoir, et échange de la soumission contre des bienfaits. Mais Dieu change vite ceux qui viennent à lui. « T’avouerai-je, écrit Auguste à sa femme, que j’éprouve maintenant quelquefois des sentimens bien différens de ceux que j’ai professés jadis ? Il y a des choses qui me retiennent encore, je te l’avoue, mais enfin je ne puis m’empêcher d’espérer mieux de moi-même. Cette idée d’ajouter par mon retour à Dieu quelque chose à ton amour soutient ma volonté. » L’intelligence plus