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qu’il préparait à ses amis, il n’y avait pas surtout un passe-temps pour lui-même. Mme de La Ferronnays, en racontant les hésitations de son père à consentir, dit beaucoup par ces petites lignes : « Mon père, sans le dire, soupçonnait-il le Prince de s’a muser à faire une noce ? » Le Prince prouva bientôt que la noce ne l’amusait guère, et, après la légèreté dans les choses importantes, voici le désespoir pour des riens. Le jour même où le Duc a emporté la promesse du mariage, il s’imagine être oublié par les heureux qu’il vient de faire. « Le Prince ne se possédait plus, disait qu’il était le plus malheureux des hommes, qu’il était dans sa destinée de ne faire que des ingrats, qu’il renonçait à l’espoir d’avoir jamais un ami. Enfin il se monta la tête jusqu’à la perdre tout à fait. Marchant à grands pas dans sa chambre, il dit tout à coup : « Je vais me tuer. » Il y avait sur la commode deux pistolets chargés : il en saisit un et le mit devant sa bouche. Auguste, avec sang-froid (car il en avait toujours dans ces occasions), prit l’autre, l’arma, le mit contre sa tempe et dit au Prince : « Monseigneur, je vous donne ma parole d’honneur que si vous vous tuez, je me tuerai aussi.) Ils restèrent ainsi quelques secondes. Enfin le Prince, subitement calmé, jeta son pistolet, Auguste remit le sien où il l’avait pris, puis ils se jetèrent dans les bras l’un de l’autre. »

Tout n’est pas joie dans la fidélité, et il faut du courage pour rester le compagnon d’un maître qu’on s’expose ainsi à suivre jusque dans l’autre monde. Mais La Ferronnays s’était donné, et la raison est dans ces lignes exquises à sa femme : « Quoi qu’il fasse, il ne me rendra pas ingrat. Sans lui, tu n’aurais jamais été à moi. »

Quand La Ferronnays arriva à Londres, il y trouva beaucoup d’agitation et de bruyans mystères autour du Comte d’Artois. Monsieur avait ce privilège que, toujours absent de l’action, il demeurait le chef des hommes les plus agités et le patron des mesures les plus violentes. Et il ne prépara jamais un complot aussi vaste que l’entreprise négociée avec Cadoudal et Pichegru. Pichegru devait travailler l’armée, Cadoual avec deux cents chouans se défaire du Premier Consul, le duc d’Enghien soulever l’Est, le Duc de Berry l’Ouest, et, par l’un ou l’autre chemin, Monsieur frayer la route au roi. Tout réglé, Pichegru et Cadoual partent pour Paris ; quelques émigrés les suivent ; et, comme Polignac, La Ferronnays eût été du nombre, sans un ordre formel