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pas toujours. Ses dons de nature, poussés en sauvageons dans cette existence inculte, portaient quelques fruits, mais rares, amers, et dont la dureté faisait une blessure même quand ils tombaient comme des bienfaits. Des spontanéités de tendresse et d’esprit adoucissaient parfois sa rudesse, comme son sourire, sa seule beauté, éclairait la maussaderie de son visage, mais rien ne perçait d’ordinaire les épaisseurs sombres de son ennui. C’est cet incurable ennui qui se transformait en défauts et en vices. Sans instruction, sans habitudes de travail, sans force de méditation, ce prince ne trouvait pas de ressources en lui-même ; son oisiveté vivait à la fenêtre, guettant les impressions du dehors. Les fantaisies volaient dans sa tête comme des oiseaux dans une maison vide. Qu’une entreprise, un espoir, une idée lui apparussent, il les saisissait avec toutes ses forces sans emploi, et, d’une ardeur égale, fuyait dans tous les projets son oisiveté. A peine tracés, il prétendait les accomplir, et lorsque les faits, qui ne sont pas courtisans, lui résistaient, comme il n’avait pas dans l’esprit des pensées de rechange, il sentait tout son bonheur engagé dans ce qui lui échappait. Alors il s’abattait en désespoirs ou se révoltait en violences, se vengeait sur les gens des déceptions que lui causaient les choses, paraissait méchant quand il n’était que malheureux. Et cela jusqu’à ce qu’ayant épuisé dans un vain effort la nouveauté de ses desseins, il s’en dégoûtât avant de les satisfaire, et les oubliât pour de nouveaux. Son énergie éclatait en caprices sans se perpétuer en volontés. Et comme sa passion ne faisait pas de différence entre la valeur de ses désirs, il manquait toujours de mesure, disposé à prendre légèrement les plus essentielles affaires et au tragique les plus minimes. Ces inégalités, ces disproportions, ces indigences de la personne dans la grandeur du personnage faisaient songer à un Bourbon d’Espagne plus qu’à un Bourbon de France. Il était la décadence d’une race, il avait de la vieillesse le stigmate le plus triste, le retour à la puérilité : un enfant, avec quelques bons instincts et tout l’inachevé de l’enfance, tenait du droit monarchique le droit de gouverner les hommes, la future couronne de France.

Même durant ses années de soldat, qui furent les meilleures, cette nature se laissait surprendre. Rien certes de plus joliment français et royal que sa façon de marier son aide de camp. Et pourtant ceux mêmes qui bénéficiaient de ses bontés se demandaient si ses raisons d’agir valaient son action, et si dans le bonheur