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lui en ont assuré. Mais la plus grosse est celle de l’Espagne qui a songé à sa générosité en la promettant, et à ses finances en ne la payant pas. Il faut attendre ; deux années passent encore. Tout à coup l’Espagne sert au Prince tout l’arriéré qu’elle lui devait, et la première pensée du Prince est de constituer avec cette somme une dot à son ami. Il parle à M. de Montsoreau : celui-ci hésite. Bien que l’usage fût alors de consulter sur ces affaires tout le monde sauf les filles à marier, il a, clairvoyance paternelle, peur de contraindre son Albertine. Celle-ci, instruite jour par jour des négociations par une jeune femme qui les poursuit avec le Prince, garde son petit masque d’ignorante. Enfin « ma mère m’appela un matin, me fit asseoir auprès d’elle avec solennité et me dit : Ma chère Albertine, j’ai une nouvelle à vous apprendre, c’est que nous allons vous marier. Croit-on que j’eus le front de répondre : Et avec qui ? » Au nom d’Auguste, elle déclara qu’elle s’en rapportait au choix de ses parens. La mère, reconnaissant le fruit de ses soins dans cette docilité, conduisit sa fille à M. de Montsoreau. « Mon père me mena à la fenêtre et me regarda au grand jour pour voir par lui-même ce que j’avais au fond de l’âme. Il me sembla qu’il était rassuré. »

Il ne restait plus qu’à signer. Le trousseau était mince : « trois douzaines de chemises de toile fort grossière, autant de mouchoirs et aussi trois robes, une de bazin blanc, une de soie jaune et aussi une robe de noce. » Mais la rédaction du contrat avait été confiée à M. Rech, magistrat émigré et inébranlable sur les principes. Il minuta l’acte comme l’acte aurait été sans cette révolution qui, en droit, n’existait pas. « C’est ainsi qu’il énuméra les équipages et les diamans qui me seraient donnés. Rien ne put l’en faire démordre ; force fut de lui passer son innocente fantaisie. » M. Rech est l’émigration elle-même : elle conduisait sa vie comme il rédigeait ses contrats. Enfin le 23 mars 1802 arriva. En vain elle est coiffée « en petits crochets » et enguirlandée de roses à la romaine, en vain lui est perdu dans son habit bleu à col gigantesque et sa culotte qui monte aux épaules sous un gilet court comme un rabat : il n’est pas de modes si extravagantes qu’elles puissent rendre laide la jeunesse et ridicule la constance. Etes-vous curieux de détails qui « datent » ? « Quand vint le moment de dire oui, je saluai ma mère, et M. de la Ferronnays salua profondément M. le Duc de Berry... Nous dînâmes tous chez le Prince ; après le dîner on joua au pharaon, parce qu’il