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et moi, jusqu’à la fin de notre pauvre armée et nous reçûmes notre licenciement quand on en fut là. »

Les Condéens arrivèrent en ligne pour apprendre que la bataille de Zurich, les passages des Alpes, et les chances de la campagne étaient perdus. Ils n’ont qu’à soutenir à Constance un rude combat de rues et à repasser le Rhin, arrière-garde d’une retraite. Ils vont reprendre à la suite des troupes russes le chemin de la Volhynie : mais Paul Ier a assez d’eux. Ils passent à la solde de l’Angleterre, réduits à porter tour à tour toutes les cocardes contre les couleurs de leur pays, et tout à la joie de rester en Allemagne. Leur petite armée n’en sortira plus. L’éclair de Marengo luit si rapide qu’on n’a pas le temps de se servir d’elle. Le traité d’Amiens la rend inutile dans l’Europe pacifiée. L’Angleterre prétend que ces Français conquièrent pour elle l’Egypte ; ils refusent et, en 1802, sont licenciés.

Sur ces inutiles routes, deux êtres pourtant n’avaient pas fait de vaines étapes. A Constance, la veille du combat, Mme de Montsoreau ne se rendait pas compte pourquoi elle souhaitait si fort « des triomphes sans bataille et des héros sans coups de fusil. » A son angoisse quand elle entendit le canon, elle comprit. Ce jour-là, La Ferronnays gagna la seule victoire qu’ait remportée l’armée de Condé. Quand la Jeune fille revit quelques jours après, sain et sauf et passant à cheval, celui pour qui elle avait craint, « je le trouvai, dit-elle, singulièrement embelli. Il me fit tout à coup l’effet d’être très grand et très aminci. Il avait un beau panache blanc qui flottait au vent, son uniforme lui allait bien, tout cela était gracieux et me parut si joli ! » C’est pourtant. Mademoiselle, le même homme que vous trouviez petit et gauche, le même costume que vous disiez commun et laid. Rien n’a changé que vous-même, votre saison d’aimer est venue.

Mais, pour les pères et les mères, c’est la saison de prévoir : comment espérer qu’ils fiancent ces deux pauvretés, ces deux soldes de huit sous par jour ? Celle de La Ferronnays s’élève tout à coup à dix louis par mois : le Duc de Berry l’a pris après Constance pour second aide de camp. Quelle joie de vivre toujours près d’elle, mais quelle incertitude de savoir si elle sera jamais à lui, et quel souci de ce maudit argent qu’il faut pour acheter même le bonheur ! Le Duc de Berry a deviné le secret de son ami, s’y intéresse, mais il est pauvre lui-même. Il vit de pensions : l’Angleterre, les Bourbons de Naples et ceux d’Espagne