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pour vivre, le soir on s’enrubannait de son mieux, » on organisait des « redoutes, » on dressait des paravens pour les charades et les comédies.

Tout à coup la grande pièce interrompt les petites. Le 17 octobre 1797, le traité de Campo Formio exige que l’armée de Condé soit dissoute et les émigrés chassés de l’Allemagne. « La consternation fut indicible lorsqu’un soir, en revenant de Berlin, le duc de Brunswick manda mon père et quelques autres personnes pour leur dire qu’il ne pouvait plus leur donner asile. » Du dernier volontaire à Louis XVIII, réfugié près de Brunswick dans la petite maison d’un brasseur, chacun se demandait où aller. Un caprice d’Empereur recueillit une partie de ceux que frappait la proscription républicaine : Paul Ier offrit à Louis XVIII l’asile de Mittau et prit à sa solde l’armée de Condé, qui reçut l’uniforme et la cocarde russes. Elle se mit en marche vers ses quartiers d’hiver. Les Souvenirs disent avec une délicatesse exquise comme la première rougeur : « Tout ce que nous aimions, tout ce que nous allions aimer partait. »

Quand s’ouvre l’année 1798, Auguste de La Ferronnays est cantonné en Volhynie, près de la capitale Dubno, et bien loin de ce que lui, a déjà commencé à aimer. Patience ! Le régiment de cavalerie noble où sertie jeune homme reçoit pour colonel le Duc de Berry. Les vingt ans du prince ont besoin de conseils, on lui donne, sous le nom d’aide de camp, un mentor : le mentor est M. de Montsoreau. Celui-ci précède à Dubno sa femme et ses filles, les y appelle, et, la berline brune continuant de rouler et de verser, le 2 novembre 1798, les voilà à Dubno. Le Duc de Berry arrive à son tour. Il est seul, les Montsoreau ont un foyer ; il aime la conversation, les Montsoreau ont de l’esprit ; il joue de la flûte, les Montsoreau ont un piano : il n’en faut pas tant pour lier les gens. « Il semblait vraiment s’attacher à nous, surtout à ma mère, qu’il prit l’habitude d’appeler « mutter ». On lui présente Auguste ; entre le soldat et son colonel l’égalité des âges rend moins distante l’inégalité des grades, la sympathie du prince fait les avances au pauvre gentilhomme. Bientôt, sous le nom d’« ordonnance permanente, » La Ferronnays reçoit ordre de suivre partout son chef, et il obéit avec d’autant plus de docilité que son devoir le conduit chaque jour chez les Montsoreau.

L’existence d’ailleurs était pour tous un rendez-vous perpétuel, et l’hiver, en suspendant la lutte, activait les plaisirs. Installé