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la chasse à l’homme, venait de s’ouvrir, et la noblesse, devenue gibier à son tour, commençait à émigrer. M. de La Ferronnays dit adieu à sa femme, et ordonna à son fils de le suivre. Ils partirent pour la Suisse, où déjà les attendait l’évêque de Lisieux. Menacé dans sa ville pour n’avoir pas consenti à la Constitution du clergé, il avait dû tirer au plus court et ne s’était arrêté qu’à Soleure. A peine s’y étaient-ils retrouvés, les deux frères tombèrent d’accord qu’il en fallait partir. L’un avait hâte d’être à Brunswick où se rassemblaient les émigrés pacifiques, l’autre de gagner à Coblentz l’armée des princes. L’enfant était un embarras. L’oncle proposa de le laisser à Bellelay, abbaye voisine et collège renommé. Le père consentit, à la condition qu’on ne parlât pas de latin à Auguste : il ne voulait pas « qu’on en fît un capucin. »

Cette défense fut toute la part que M. de La Ferronnays prit à l’éducation de son fils ; elle se trouva utile à celui-ci. L’attrait pour ce qui est prohibé le rendit curieux de ce qu’on enseignait à ses condisciples, et, la bonté de sa mémoire aidant, il finit par savoir à peu près ce qu’on lui avait interdit de connaître. Le travail l’aidait non seulement à apprendre, mais à oublier. Oisive, quelle eût été la vie de l’enfant, qui demeura quatre années sans une visite, sans une lettre des siens ? Une seule nouvelle lui parvint, la mort de sa mère. Mme de La Ferronnays, restée en France, était la plus exilée, puisque son fils était loin : après deux ans passés sans rien apprendre de lui, elle n’avait pu supporter une plus longue incertitude, et dans l’espoir de recueillir quelque écho d’émigration, elle s’était rendue à Nantes au moment où y régnait Carrier. Arrêtée aussitôt, oubliée treize mois en prison, elle avait, quand le 9 thermidor la délivra, épuisé la source de ses larmes et de sa vie. Elle était morte en chrétienne, sans un murmure, et seulement avec la hâte d’une autre existence où les mères n’ignorent plus le sort de leurs enfans. La jeunesse ne connaît pas ces résignations. Cette cruauté de la vie et de la mort envers un être qui méritait si peu de souffrir parut au fils désolé une injustice de Dieu, et de son cœur, révolté contre la perte de sa mère, s’échappa toute la foi que sa mère lui avait apprise.

Il n’était donc pas capucin quand, en 1795, reparut son père à éclipses. L’émigration, à l’armée des princes, avait pris un premier contact avec les faits. Les talons rouges s’étaient embourbés dans les marais de la Champagne, les manans avaient fait repasser la frontière à leurs seigneurs ; ce n’est pas avec des épées