une fois malgré elle de l’ordre légal, se sentait déjà entraînée plus loin qu’elle n’aurait voulu. Le mouvement était porté par cette effervescence populaire qui monte et bouillonne toujours à la surface d’une société remuée dans ses profondeurs quand les pouvoirs, nés de la veille et encore chancelans, hésitent à en appeler, même pour leur défense, à une force publique désarmée et découragée par le triomphe récent d’une insurrection. La résistance était maîtresse au parlement, mais très intimidée dans l’exercice d’un pouvoir déjà contesté ; le mouvement se donnait bruyamment carrière dans la rue.
Les plus sages jugèrent que le jour d’une lutte, tôt ou tard inévitable, n’était pas encore venu, et donnèrent au roi le conseil de céder à temps et de profiter de la faveur personnelle dont il jouissait encore pour fixer et borner lui-même la mesure de concession qu’il jugerait indispensable. MM. Mole, Guizot, de Broglie, Dupin et Casimir Perier sortirent donc du cabinet où MM. Laffitte et Dupont de l’Eure furent presque seuls conservés. L’avis prudemment donné fut habilement suivi. M. Laffitte, à qui le roi confia la direction du nouveau ministère, était un financier avisé qui tenait, d’un usage libéral de sa grande fortune, un renom très supérieur à son mérite politique, mais qui n’avait nulle envie de la compromettre en prolongeant les agitations révolutionnaires. Sa situation pécuniaire était même, on le savait, déjà très atteinte, et il n’en disconvenait pas, disant avec cette fatuité qui était un des traits de son caractère : « Que voulez-vous ? On nomme usuriers ceux qui font leurs affaires en prêtant à la petite semaine. Moi, j’ai prêté à la grande semaine, l’héroïque semaine de Juillet. »
En attendant, connaissant ses embarras, le roi lui était venu en aide en acquérant à des conditions avantageuses quelques-uns de ses immeubles, et en facilitant ainsi de gros paiemens qui devaient être faits à une échéance critique. Il acquérait par là la reconnaissance d’un serviteur dévoué, que sa faiblesse pouvait entraîner à de regrettables défaillances, mais qui n’irait de lui-même au-devant d’aucun parti extrême.
Mais ce à quoi le roi tenait par-dessus tout et à quoi il dut pourvoir avec un soin tout particulier, ce fut à garder personnellement en main la conduite de la politique extérieure et principalement de la grande affaire, pressante et délicate entre toutes, que Talleyrand avait la mission de traiter à Londres. Le portefeuille